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études-coloniales

5 mai 2007

Si, l'histoire de la colonisation a été travaillée (CCV)

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Si, l'histoire de la colonisation

a été travaillée...

Catherine COQUERY-VIDROVITCH

Message commenté :  Une histoire française : Dictionnaire de la colonisation (L'Express)

Si, l'histoire de la colonisation a été travaillée

"Curieusement, le travail historique sérieux sur cette épopée est pauvre… Même le brillant ouvrage de Pierre Nora, Les Lieux de mémoire (Gallimard), ne lui consacre qu'un chapitre"

Je suis pour ma part choquée que ce journaliste, qui cite Les Lieux de Mémoire de 1985, ignore en revanche les travaux sérieux sur la question, dont en particulier (et entre autres) l'histoire, initiée par Jacques Marseille, en 2 gros volumes, par 7 historiens spécialistes, de la France coloniale publiée par Colin en 1991 et rééditée en livre de Poche en 1996 (Agora-Pocket, 3 vol.). Si peu lus qu'ils sont épuisés…

CCV

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_______________________________________________

 

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première édition

- Histoire de la France coloniale, des origines à 1914, Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Goldzeiguer, Jacques Thobie, éd. Armand Colin, 1990.

- Histoire de la France coloniale, 1914-1990, Jacques Thobie, Gilbert Meynier, Catherine Coquery-Vidrovitch, Charles Robert-Ageron, éd. Armand Colin, 1990.

 

en poche (actuellement indisponible)

- Histoire de la France coloniale, tome 1, la conquête, éd. Pocket, 1999

- Histoire de la France coloniale, tome 2, l'apogée, éd. Pocket, 1999

- Histoire de la France coloniale, tome 3, le déclin, éd. Pocket, 1999



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4 mai 2007

Sultans (souverains) du Maroc de 1631 à 1999

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Sultans (souverains) du Maroc

dynastie alaouite

 

Succédant aux Saadiens (1524-1659), les Alouites, venus d'Arabie en 1266, étaient installés dans la région du Tafilalet. Ils portaient le titre de chorfas, c'est-à-dire de descendants de Muhammad (Mahomet) par Alî et Fatima (la fille du Prophète).

img_pres_long_4505- "Les dynasties mérinide et saadienne qui gouvernèrent le Maroc montèrent au zénith, atteignirent leur apogée et déclinèrent. Leur trajectoire fut brillante, mais éphémère. Lorsque le dernier souverain saadien mourut en 1659, il laissait le Maroc dans une situation navrante. Si l'unité territoriale était disloquée, le pouvoir central ne l'était pas moins. Les limites du Maghzen n'avaient cessé de se rétrécir. Dans le Moyen Atlas, la famille Dilaî occupait Fès et tout le nord du pays. dans le Souss, la famille Filali avait érigé en capitale sa forteresse d'Iligh. Dans le nord-ouest du Maroc, des chefs militaires s'étaient arrogé des prérogatives exorbitantes, sous prétexte de lutter contre les Portugais et les Espagnols qui occupaient les côtes de l'Atlantique et de la Méditerranée. Les derniers souverains saadiens ne conservaient plus que Marrakech. Encore n'y exerçaient-ils que l'ombre du pouvoir...
Vers qui se tourner pour sauver le pays ? Des esprits éclairés estimèrent que seuls les Alaouites étaient en mesure de le faire. Ne descendaient-ils pas directement du Prophète ? N'étaient-ils pas investis d'une baraka qui avait déjà fait ses preuves ? Une délégation d'ulémas se rendit à Sigilmassa auprès de leur chef, Moulay Ali Cherif, qu'auréolait une atmosphère de sainteté. Ils le conjurèrent de prendre la situation en main.
L'heure historique des Alaouites avait sonné. Les dynasties précédentes s'étaient hissées au pouvoir par la force des armes et de leurs allégeances tribales. Eux étaient conviés à monter sur le trône en raison de leur ascendant religieux."

Histoire des Alaouites [1970], Perrin, 1994, réimpr. 2001, p. 65-66
Jacques Benoist-Méchin (1901-1983)

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- Moulay Cherif ben Ali : 1631-1640

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Moulay Mohammed ben Cherif : 1640-1664

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- Moulay Er Rachid : 1664-1671

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- Moulay Ismaïl : 1671-1727

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- "Alors apparut sur la scène marocaine une des personnalités les plus fascinantes de son histoire, le Roi-Soleil d'un pays où le soleil brille d'un éclat particulier. On a souvent comparé Moulay Ismaïl à Louis XIV en raison de son goût du faste, de sa fureur de construire, de la longueur de son règne et des relations diplomatiques qu'il entretint avec la cour de Versailles. Mais serait-il plus juste de le comparer à Shah Jahan ou à Soliman le Magnifique, car la violence de son tempérament et ses réactions imprévisibles le rapprochaient davantage de ces grands conquérants que du fils de Louis XIII et d'Anne d'Autriche.

Dans l'histoire du Maroc, Moulay Ismaïl représente un sommet. À travers lui, toute l'énergie accumulée pendant des siècles dans les steppes du Tafilalet, explose comme un ouragan. S'il consacra vingt-six ans de son règne à réprimer les révoltes toujours récurrentes des Sanhaja, des Dilaï et des Aït-Atta - opérations au cours desquelles son armée, rentrant un jour de Marrakech, fut surprise et dispersée par une tempête de neige au col de Telouet (1679) -, cette activité guerrière lui permit de mener une foule d'autres tâches : création d'un vaste réseau routier, acquisition d'une flotte, renforcement de l'administration et réoganisation de l'armée. Ses déplacements étaient si rapides qu'il semblait posséder le don d'ubiquité. Étonnée de voir un seul homme paraître presque simultanément en tant d'endroits différents, la rumeur publique assura qu'il s'était rendu possesseur de l'anneau magique de Salomon et qu'il lui suffisait d'en tourner le chaton vers l'intérieur de sa main pour que les djinns accourussent de toutes parts pour se mettre à son service.

Bâtir était une de ses passions dominantes. On a calculé que, durant son règne, il a déplacé une masse de terre représentant huit fois le volume de la grande pyramide. De cette frénésie de constructions il nous reste le palais de Meknès, dont Moulay Ismaïl avait fait sa résidence.
C'est un ensemble cyclopéen d'une superficie de 475 000 mètres carrés, entouré de 42 kilomètres de remparts flanqués de bastions, à l'intérieur desquels se trouvent des bâtiments d'habitation, des jardins, des réservoirs d'eau, des greniers à blé et des écuries assez vastes pour contenir dix mille chevaux et soixante-dix mille cavaliers. Quant au palais lui-même, l'impression qui s'en dégage est celle d'une volonté de puissance proprement illimitée."

Histoire des Alaouites [1970], Perrin, 1994, réimpr. 2001, p. 70-71
Jacques Benoist-Méchin (1901-1983)

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Meknès, palais royal

 

- Moulay Ahmed Ed Dehbi  : 1727-1728

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- Moulay Abdelmalek : 1728-1729

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- Moulay Abdallah : 1729-1757

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- Sidi Mohammed : 1757-1790

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- Moulay Yezid : 1790-1792

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- Moulay Slimane : 1792-1822
mène une politique religieuse anti-confrérique après son adhésion au wahabisme

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- Moulay Abderrahmane : 1822-1859

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Delacroix

 

 

- Sidi Mohammed : 1859-1873

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- Moulay Hassan (Hassan 1er) : 1873-1894 m. lors expédition contre rebelles

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les trois sultans qui lui succèdent sont ses fils :

- Moulay Abdellaziz : 1894-1907 monte sur le trône à 14 ans

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- Moulay Hafid (frère du précédent) : 1907/1908 -1912
  confirmé par oulémas à Fez, le 3 janvier 1908
  c'est Moulay Hafid qui signe le traité de protectorat, le 30 mars 1912

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à gauche Si Kaddour ben Ghabrit

 

- Moulay Youssef  : 1912-1927
sultan depuis le 12 août 1912 (proclamé le 17 août à Fez)
mort le 17 novembre 1927
c'est lui qui inaugure la Mosquée de Paris en juillet 1926

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à gauche, à Paris en juillet 1926 ; à droite, en compagnie de Lyautey (derrière ce dernier, Si Kaddour ben Ghabrit)

 

- Sidi Mohammed Ben Youssef : 1927-1953/1961
déposé le 20 août 1953
retour le 16 novembre 1956
Roi sous le nom de Mohammed V le 15 août 1957
meurt le 26 février 1961

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- Hassan II : 1961-1999

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- Mohammed VI : 1999

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3 mai 2007

Un dictionnaire pour décoloniser les esprits (Hervé Nathan)

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sur la route de Moussoro (Fort-Lamy), Tchad, 1935-1945 (base Ulysse, Caom)

 

Un dictionnaire

pour décoloniser les esprits

Hervé NATHAN

 

La loi du 23 février 2005 sur "l'enseignement positif de la colonisation" aura un enfant posthume et… involontaire : le Dictionnaire de la colonisation française, dirigé par Claude Liauzu, un des histoiriens qui lancèrent la pétition contre la loi scélérate. Le "dico" veut rompre avec la "mémoire", manipulée et manipulable, au profit de l'histoire. Le livre, écrit par une équipe pluridisciplnaire où l'on retrouve, outre Benjamin Stora, des chercheurs de gauche, de droite, issus du Maghreb ou de France, est un peu un catalogue des idées non reçues dans les enseignements officiels, ou les récits apologétiques.

Le premier article est ainsi consacré à Ramdane Abbane, le plus brillant idéologue du FLN algérien qui fut assassiné au Maroc en 1957, "sur ordre des dirigeants du FLN". On apprend qu'en 1954 la Ligue des Droits de l'Homme demanda… le rétablissement de l'ordre en Algérie après l'insurrection de la Toussaint !

Les pages les plus terribles sont consacrées aux rapports entre la colonisation et la République. D'où il ressort que la France a littéralement appris le racisme de son expérience coloniale. Il suffit de relire le Tour de France par deux enfants, manuel censé inspirer l'amour de la patrie aux enfants de la République qui enseigne que "la race blanche est la plus parfaite" et la race noire a "les bras très longs".

Mais, si le colonialisme fut largement accepté par les Français, il fut toujours un enjeu d'affrontement entre républicains. Il y eut les pour (Gambetta, Ferry), qui pensaient apporter la civilisation aux peuples attardés, et les contre, comme Clemenceau ou Anatole France qui écrivait : "Les peuples que nous appelons barbares ne nous connaissent que par nos crimes. […] Allons-nous armer sans cesse contre nous en Afrique et en Asie d'inextinguibles colères et des haines insatiables, et nous préparer des millions d'ennemis ?" Reste à savoir si la colonisation a été positive ou négative. Le dictionnaire aidera chacun à s'en faire une idée. Claude Liauzu reconnaît que la France laissera deux legs à ses ex-colonies : la naissance de l'État moderne et la notion d'individu. C'est déjà ça.

Hervé Nathan
Marianne, n° 523, 28 avril 2007

 

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équipe de travailleurs sur la route de Mouila-Onoï, Gabon
(base Ulysse, Caom)

 

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2 mai 2007

Réponse à Éric Roussel (Pierre Brocheux)

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la domination coloniale, une histoire

conflictuelle mais aussi transactionnelle

réponse à Éric Roussel (Figaro)

Pierre BROCHEUX

 

Je réagis à une recension du Dictionnaire de la Colonisation française publiée par Éric Roussel dans le Figaro (si je ne me trompe) et qu' Études coloniales a reproduite. Mais je limite mon intervention à l'objection faite par Éric Roussel à propos d'une notice que j'ai rédigée sur le Parti communiste indochinois.

Éric Roussel estime que nous aurions mieux fait d'accorder plus de place au PCF qu'à un long développement sur le PCI. À cela je réponds que :

1/ il est question du PCF dans 27 entrées du dictionnaire (et je n'hésite à dire que le "critique" a lu le dico en diagonale) ;

2/ M. Roussel ignore-t-il que la France et l'Indochine ont une histoire partagée et par conséquent le mouvement communiste indochinois (en fait vietnamien) et celui de France également ? En fait il a une conception archaïque et dépassée de la colonisation française conçue comme un processus univoque où les dominants sont les seuls acteurs et les dominés seulement des figurants. Au contraire, la domination coloniale fut un moment fort d'une histoire conflictuelle mais aussi transactionnelle, en un mot d'une histoire dialectique. Mais au fond, M. Roussel continue de penser sans doute, comme pas mal de gens en France, que les communistes vietnamiens étaient des agents de Moscou et de Pékin et par conséquent, ils ne nous intéressent pas.

Je rappelle quelques faits : Ho Chi Minh peut être considéré comme un des fondateurs du PCF (congrès de Tours 1920), le PCI fondé en 1930 fut jusqu'en 1931, une section du PCF jusqu'à ce qu'il soit admis membre à part entière dans la Troisième Internationale. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, le PCI entretenait des relations privilégiés avec le PCF, la majorité des élèves de l'Université des travailleurs d'Orient, à Moscou, venaient de France et certains d'entre eux y retournèrent vivre. La puissance du Front populaire de France trouva sa réplique en Indochine, les mêmes décrets de 1938 qui frappèrent le PCF en 1939 frappèrent aussi le PCI. Pendant la guerre d'Indochine, il y eut une liaison permanente entre le PCF et la résistance vietnamienne. Ni l'influence chinoise ou soviétique n'ont extirpé complètement l'influence française : la République socialiste du VN a commémoré le bicentenaire de la Révolution française de 1789 comme peu d'autres pays  au monde l'ont fait.

Pierre Brocheux

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le dernier livre de l'auteur

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sur ce blog

 

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Manifestation à Paris en 1950 pour la fin de la guerre d'Indochine (source)

 

 

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1 mai 2007

Réponse au compte rendu d'Éric Roussel (Claude Liauzu, Vincent Joly, Maria Romo-Navarette)

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Réponse au compte rendu d'Éric Roussel (Figaro)

à propos du Dictionnaire de la colonisation française 

Claude LIAUZU, Vincent JOLY, Maria ROMO-NAVARETTE

 

Qu’un livre de 646  pages et 700 notices contienne des erreurs, qu’il soit nécessaire de les corriger est une évidence ; affirmer que cet «ouvrage multiplie erreurs, lacunes et approximations» n’est pas juste et appelle une réponse.

Sur Boisson, nommé par la gauche, il sert fidèlement Vichy, en particulier en septembre 1940 quand il fait ouvrir le feu contre les gaullistes et les poursuit de sa haine jusqu’à son éviction en 1943, alors que Félix Eboué rallie la France libre,.

Sur Pierre Mendès France et la «trahison» de sa politique tunisienne, il faut lire le chapitre IV – «Carthage dépassé et trahi» - dans La politique de Carthage rédigé par Simone Gros en 1958 sous la dictée de PMF. On trouve les références dans les archives de PMF, utilisées par la thèse de Maria Romo-Navarrette que Éric Roussel ignore, et c’est dommage !

Les critiques de celui-ci concernant la notice de Gaulle (qui souligne l’évolution de sa pensée dans le volume restreint imparti) sont contradictoires avec la reconnaissance par le même du fait que «les développements d’ordre événementiel (guerre d'Indochine, guerre d'Algérie) apparaissent honnêtes et de bonne facture».

Quant au PCF, que Éric Roussel affirme ignoré dans ce dictionnaire, il fait l’objet de 27 occurrences ! Sétif en 1945, l’état d’urgence, le vote des pouvoirs spéciaux sont traités par des notices. L’ambiguïté du parti communiste face à la guerre d’Algérie est étudiée sans complaisance (pp. 322, 324, 326), et dans les notices Alger Républicain et Henri Alleg etc., contrairement à ce que laisse entendre le compte rendu.

Surtout, cette critique du Figaro (qui ne concerne que les aspects politiques métropolitains des années 1936-1962 pour un livre allant de la fin du XVIIIe aux décolonisations et traitant les réalités françaises mais aussi les pays colonisés) laisse de côté toutes les mises au point sur les principaux dossiers économiques et sociaux (traites, esclavage, capitalisme et colonisation, démographie, mutations sociales...) et les aspects nouveaux (le corps, les dimensions culturelles, l’histoire des femmes...) qui n’avaient pas été intégrés jusqu’ici dans une synthèse sur la colonisation.

Enfin, elle ne signale pas que ce livre se veut délibérément pluraliste et a donné la parole, avec comme seul critère leur compétence, à 70 spécialistes, dont 30 non métropolitains. Nous espérons que les lecteurs du Figaro auront connaissance de cette mise au point. Car notre objectif, refusant les guerres de mémoires et tout parti pris idéologique, est d’apporter des réponses aux problèmes que se pose une société en crise, en montrant la place du passé colonial dans le devenir de la société française.

Claude Liauzu,
Vincent Joly, Maria Romo-Navarrette

 

La guerre à Madagascar, Gali
Affiche en couleurs illustrée. Publicité pour le livre de H. Galli,
La guerre de Madagascar. Sur fond de carte de Madagascar, Un soldat
des troupes coloniales plante le drapeau français tricolore à Tananarive. 1897

(source : Caom, base Ulysse)

  

- Dictionnaire de la colonisation française, dir. Claude Liauzu, éd. Larousse, 2007. 

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30 avril 2007

Les identités corporelles au Vietnam : 14 et 15 mai à Lyon

27 avril 2007

Je récuse absolument le terme de repentance (Catherine Coquery-Vidrovitch)

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Je récuse absolument le terme

de repentance

Catherine COQUERY-VIDROVITCH *

 

- compte rendu du livre de Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance, Flammarion, 2006.


11393510En qualité d'historienne, je récuse absolument ce terme de repentance, qui n'a été utilisé par aucun historien sinon pour en attaquer d'autres et qui est injurieux à l'égard de collègues dont la conscience professionnelle est indéniable mais dont, pour des raisons diverses, à mon avis essentiellement politiques (mais qu'il est de bon ton d'appeler «idéologiques») on ne partage pas certaines des interprétations 1.

De la part d'un polémiste, on peut tout attendre, et les colères peuvent avoir leurs raisons et leurs effets, voire leurs enseignements. Mais de la part d'un historien, l'ouvrage de Daniel Lefeuvre est surprenant.

D'abord les règles élémentaires d'un historien ne sont pas respectées. À qui s'adressent les critiques de l'auteur, et qu'est-ce qu'un «Repentant» ? Apparemment, celui qui n'est pas d'accord avec lui sur son interprétation de l'histoire coloniale. L'ouvrage de Lefeuvre ne viserait donc pas les historiens, car l'histoire est affaire de savoir et non de morale : je parle d'historiens de métier et de conscience, qui appliquent avec le plus de rigueur possible les méthodes des sciences sociales. Celles-ci, par définition, ne peuvent pas non plus éviter une certaine subjectivité, celle du point de vue auquel on se place ou plutôt où l'on est placé par les hasards du temps et de l'espace.

Comme tous les historiens, l'historien de la colonisation examine les faits, les restitue dans leur réalité la plus probable, et surtout les interprète, cherche à en comprendre les raisons, le fonctionnement toujours complexe et les effets. Il peut exister de bons ou de mauvais historiens ; j'aurais tendance à penser qu'un mauvais historien n'est pas un historien du tout, s'il se laisse guider par sa subjectivité au lieu de la connaître et donc de la contrôler. En tous les cas, la repentance n'a pas place dans cet effort. Or, à regarder de plus près à qui s'adressent les attaques de l'auteur, c'est à quelques collègues. L'adversaire d'abord privilégié n'est d'ailleurs pas historien mais politiste, Olivier Le Cour Grandmaison 2 ; les adversaires secondaires sont des historiens non universitaires (ce qui n'est pas de ma part un reproche mais un constat) ; l'un, Gilles Manceron, est auteur de plusieurs livres originaux et utiles et par ailleurs vice-président de la Ligue des Droits de l'Homme ; l'autre, Pascal Blanchard, est un historien entrepreneur, plein d'idées neuves mais parfois, effectivement, un peu rapide ou provocateur.

Sont écornés par ailleurs, de façon plus légère, plusieurs autres collègues, parmi lesquels Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire ou (incidemment) Claude Liauzu ou moi-même. Alors, historiens ou pas historiens ? Car on y retrouve aussi, bizarrement ... Tariq Ramadan (p. 163). Ce sont les seuls nommément désignés à la vindicte de l'auteur. La confusion demeure donc totale, le reste concernant de façon indistincte31 probablement les médias (?), ou bien tout bonnement «on» («on disait alors», «on refait l'histoire», on ne les compte plus, ces «on» constamment appelés à la rescousse !) ; il y a même des expressions aussi précises que «contrairement à une légende tenace» (p. 146). Le tout est constitué en un adversaire imaginaire collectif désormais intitulé : «les Repentants» voire, pire encore, «la propagande repentante» (p. 157) - sans plus de précision ni référence, sinon que «la mythologie de la repentance» (p. 199) entend vouloir «à tout prix prouver que seuls les coloniaux sont stigmatisés» (p. 210). Cela est gênant, particulièrement de la part d'un historien dont la règle devrait être de citer chaque fois précisément ses sources, quelque peu obscures lorsqu'il vise «le prêche des sectateurs de la repentance coloniale [qui] repose sur une suite d'ignorances, d'occultations et d'erreurs, voire de contre vérités» (p. 12) : ou l'invective à défaut de raisonnement...

 

erreurs et occultations

À propos d'ignorances, d'occultations et d'erreurs, Daniel Lefeuvre aurait pu éviter quelques bourdes, en affirmant par exemple que l'«islamophobie ... n'est en rien la survivance d'une culture coloniale plutôt islamophile... à la manière d'un Augustin Berque qui faisait preuve de curiosité humaniste. Sa construction, au contraire, est récente» (p. 228). Augustin Berque comme porte parole de l'opinion publique française en matière d'islam ? Je renvoie, entre autres, à la thèse d'État de Jean-Louis Triaud, au titre pourtant évocateur, démonstration majeure de la construction de l'islamophobie coloniale française pendant plus d'un siècle 3. D'ailleurs c'est contre l'islamophobie qu'avait déjà voulu réagir Napoléon III et son «royaume arabe». Et je rappelle aussi les multiples développements coloniaux du XIXe et du XXe siècle, étudiés entre autres par Charles-Robert Ageron, opposant le «mythe» des Berbères ou Kabyles civilisables aux Arabes («plus musulmans») qui ne le seraient guère 4.

amina3Bien sûr, nous assistons aujourd'hui à de nouvelles constructions de l'islamophobie (qui le nie ?) mais il ne s'agit pas de génération spontanée... Autre erreur choquante : «un pays, le Nigeria, applique la charia» (p. 228). Eh non, «le Nigeria» n'applique pas la charia 5. Le Nigeria, composé de 36 États, est un État fédéral laïc, ce qui, entre autres, lui interdit la lapidation des femmes adultères : certes, deux ou trois provinces du Nord très majoritairement musulmanes font mine de l'appliquer et prononce même des sentences, ce qui est très grave ; mais c'est une manoeuvre éminemment politique qui vise à embarrasser le gouvernement central et, jusqu'à plus ample informé, fort heureusement, aucune condamnation n'a pu être exécutée.

Lefeuvre n'hésite pas non plus à se contredire à deux pages d'intervalle : p. 158, il récuse l'argument de Pascal Blanchard selon lequel, «si l'État favorise cette venue de Nord-Africains en métropole [il veut dire Algériens], ce serait sous la pression du patronat». Or p. 159 il précise lui-même «ainsi, la direction des Charbonnages de France envoie-t-elle des recruteurs sillonner l'Anti-Atlas où elle embauche 30 000 mineurs [marocains] entre 1945 et 1979 » : alors ? Il faudrait savoir ? ou bien les Marocains ne seraient-ils pas «nord-africains» ?

Enfin l'ouvrage déforme outrageusement la pensée de ses «adversaires» lorsque, par exemple, il accuse Le Livre noir du colonialisme de présenter le nazisme comme un héritage colonial : Marc Ferro a simplement rappelé, dans son introduction, qu'Hannah Arendt répertoriait non pas deux totalitarismes (nazisme et communisme), mais trois au XXe siècle. Or c'est au nom de cette invention de filiation, cette fois-ci sans 507citation et pour cause, que Lefeuvre dénigre l'ouvrage sans autre forme de procès : «C'est tout le but [sic !] du Livre noir du colonialisme, publié en 2003, de nous convaincre de cette filiation» [avec Hitler] (p.10). Par ailleurs, il pense faire de l'esprit (par une allusion à une utile édition de sources récemment publiée par Manceron 6) en faisant mine de croire que celui-ci (dont la citation donnée est malicieusemment interprétée) présente Hitler comme le «fils spirituel de Gambetta ou de Ferry» (p. 10 encore) ; mais Hitler utilisateur des constructions racistes «scientifiques» de la fin du XIXe siècle, au demeurant opportunes pour les «expansionnistes coloniaux» de l'époque, cela, il se garde de le rappeler : ou de l'usage du sarcasme pour déformer la pensée d'autrui...

 

statistiques

Un premier étonnement de la part d'un historien économiste distingué : faut-il consacrer le tiers de son ouvrage (pp. 95-140) à expliquer, à partir de la seule Algérie, que la colonisation française fut globalement une mauvaise affaire pour la métropole, ce qui est connu et explicité depuis près d'un demi siècle par tous les historiens de la colonisation, dont le premier fut Henri Brunschwig en 1960, avec son Mythes et réalités de l'impérialisme français, qui demeure un chef d'oeuvre en la matière ?

Faut-il rappeler à notre historien économiste 1. que l'on peut faire dire aux statistiques ce que l'on veut, en particulier lorsqu'il s'agit de moyennes générales, en fonction de la façon dont on les utilise ? Et 2. qu'il vaut mieux éviter, en historien, de valser entre les périodes sans crier gare ? C'est du moins ce que nous sommes chargés d'enseigner à nos étudiants. Absurde donc de se réfugier derrière la pureté des chiffres («voyons donc, pour la conquête d'Alger, ce que nous disent les chiffres», p. 24) : les chiffres sont certes utiles, mais à l'historien de les faire parler, et eux nous diraient plutôt ce que nous voulons entendre.

Ainsi, affirmer tout de go, et sans autre précision, que «de 1900 à 1962 le solde commercial des colonies avec la métropole n'a été excédentaire qu'une année sur trois» (p. 123) ne signifie pas grand chose sur la rentabilité très diffférenciée de territoires variés et étendus dont, selon les lieux et les époques, les uns furent des gouffres et les autres des pactoles (au moins pour quelques investisseurs privés chanceux ). Notre auteur assène des vérités implacables sans aucune référence : «les deux tiers du temps [quel temps ?], les colonies [lesquelles ?] vivent à découvert parce qu'un tuteur généreux, l'État français, assure leurs fins de mois» (p. 123) : a-t-il seulement lu l'article de l'historien économiste F. Bobrie, qui a démontré que l'Indochine entre 1890 et 1914 a été si rentable (à l'opposé de l'AEF) qu'elle a, entre autres profits, remboursé à l'État français la totalité des dépenses de conquête qui en ce cas ne furent pas minces, et dont il en trouvera le détail quantifié ? 7.

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vers 1930 (source)

Certes, ce qu'il expose vaut (en partie) pour l'après seconde guerre mondiale, mais seulement pour l'Afrique noire puisque l'Indochine est perdue et l'Algérie en guerre : c'est précisément la raison pour laquelle les indépendances africaines ont été si faciles à obtenir puisque, à partir du moment où le Code du travail français était promulgué en AOF (1952), l'Afrique s'était mise à coûter trop cher notamment en charges sociales. En répétant ces données bien connues pendant un demi chapitre (pp. 130-134), Lefeuvre ne nous apprend vraiment rien de neuf : qui le nie, chez les historiens s'entend ? En revanche, pourquoi a-t-il omis de rappeler que, de 1900 à 1946, la loi d'autonomie financière des colonies avait stipulé que les colonies ne devaient dépenser qu'en fonction de leurs recettes propres (impôts et droits de douane), ce qui a considérablement et fort longtemps freiné la «générosité» de l'État français ? Le durable non investissement français outre-mer (à la différence de la Grande Bretagne en Afrique du sud, par exemple) ou, quand ils ont eu lieu, les graves errements de ces investissements pourtant largement étudiés (dans le cas de l'office du Niger), de cet héritage l'auteur n'en dit pas un mot.

Enfin, l'exploitation des colonies s'est révélée être un «tonneau des Danaïdes» (titre du chapitre 7, p. 117). Ce fut donc un drame pour l'État colonial comme pour les colonisés. Personne n'y a trouvé avantage. Lefeuvre fournit ainsi des arguments de poids à ceux qu'il veut exécuter : si l'on suit son raisonnement, en effet, les gouvernants et les homme d'affaires français n'étant pas tous des imbéciles, on peut quand même se poser quelques questions sur le bien-fondé d'une aventure coloniale si continuement et si profondément catastrophique, et se demander innocemment dans ces conditions s'il n'y aurait pas quelque repentance à avoir d'avoir si gravement fauté pendant si longtemps ? À quoi bon défendre une entreprise à ce point condamnée ? Je me moque, évidemment, mais c'est pour mieux montrer la faiblesse du raisonnement strictement quantitatif présenté comme infaillible...

Omission plus grave : à trois reprises, il qualifie improprement les Algériens de «Français» (p. 150, 152 et 197). Or sous la colonisation ils étaient indifféremment «Arabes» ou «Musulmans» (la dénomination d'Algériens étant alors réservée aux Français d'Algérie). Certes, il utilise à deux reprises des expressions plus conformes à la réalité en les qualifiant de «partie intégrante de la main d'oeuvre nationale» (p. 150) et en précisant que notables_2sur «le marché français du travail» ils jouissaient de l'«égalité des droits» : du travail, s'entend, et ce exclusivement en France.

L'honnêteté historique exigeait qu'il rappelât en revanche que les «Musulmans», certes, vivaient dans trois départements français, mais qu'ils n'y étaient pas français : c'est précisément en Algérie que fut d'abord adopté en 1894 (avant d'être généralisé ailleurs) le régime dit de l'«Indigénat». Les droits du citoyen français ne furent même pas accordés à une poignée d'évolués, malgré les efforts du député Viollette, pourtant cité, dont la proposition de loi en ce sens (dite loi Blum-Viollette) contribua à faire tomber le gouvernement du Front populaire. Enfin, la constitution de 1946 ne parlait que de citoyenneté impériale, et la citoyenneté française stipulée par la loi Lamine Gueye (1946) ne fut pas appliquée en droit politique. D'où l'inexactitude (le mot est faible) d'affirmer sans nuance et sans date que les Algériens étaient français ? Tout au plus furent-ils étiquetés sur le tard «Français Musulmans» -, au lieu de reconnaître une lapalissade : il n'y aurait pas eu d' «Indigènes de la République»... s'il n'y avait pas eu l'Indigénat ; que celui-ci fût en principe supprimé après la Seconde Guerre mondiale ne l'a pas rayé des mémoires.

 

exemples et citations

Daniel Lefeuvre a beau jeu de reprocher à ses «adversaires» de tronquer les citations, je le cite : «deux citations isolées de leur contexte et tout est dit» (p. 221). Or il fait exactement pareil, ce qui est, je luia_agricole accorde volontiers, de la malhonnêteté intellectuelle. Ainsi m'épingle-t-il parce que j'ai écrit :

«C'est entre les deux guerres que le Maghreb allait à son tour remplir les caisses de l'État, et surtout des colons et des industriels intéressés, grâce aux vins et au blé d'Algérie, et aux phosphates du Maroc». Il a pris soin de taire la phrase suivante : «Mais, comme l'a montré Jacques Marseille, ce soutien fut de bout en bout un leurre. Car, comme on l'a suggéré plus haut, l'économie coloniale, toujours prônée par les gouvernements successifs, eut pour effet majeur de protéger l'économie française de façon malthusienne


Si l'effet majeur fut d'entraver l'économie française, c'est bien que ce n'était pas «rentable». Lefeuvre fait mine de prendre l'expression au pied de la lettre, et me fait donc passer pour une idiote, comme si toutes les recettes françaises venaient d'Afrique du nord ; j'espère pour sa culture historienne qu'il sait que c'est avec Jacques Marseille et sous ma houlette (prenant la suite de Jean Bouvier) que nous avons mené, de 1973 à 1979, une enquête quantitative aussi exhaustive que possible sur la rentabilité détaillée des différents territoires de l'empire, colonie par colonie 8. Cette enquête a servi à Jacques Marseille de premier support pour élaborer son grand livre ; je répète donc ici ce que j'ai toujours expliqué (y compris dans le paragraphe précédant la citation épinglée) : les seules affaires rentables le furent au profit d'entreprises coloniales qui représentaient une part minime du capital français, en Indochine avant la guerre de 1914, au Maghreb entre les deux guerres et en Afrique noire au début des trente glorieuses... Lefeuvre a dû se donner du mal pour trouver à exploiter quelque part une expression trop rapide qui contredirait la totalité des résultats de ma thèse d'État ! 9. Cela n'est guère digne d'un collègue sérieux.

Si j'ai décrit en détail cette anecdote, c'est que le livre de Daniel Lefeuvre procède exactement comme il le reproche aux autres : l'un de ses tics récurrents est de procéder à coup d'exemples pris pour le tout ; le procédé est particulièrement frappant p. 160-162, où il fait bon marché des «très nombreuses déclarations d'Algériens assurant s'être rendus en France après avoir été contactés... par des agents patronaux», mais les réfutent (sans les avoir analysés) par l'énumération de ... six cas censés prouver le contraire : une note du préfet de la Nièvre en octobre 1923, du directeur de la Co des Mines de houille de Marles en 1937, un entrefilet de la Dépêche de Constantine en 1949, un compte-rendu d'un inspecteur des Renseignements généraux à Bougie en 1949, un article du Bulletin du CNPF en 1952, et à nouveau une étude patronale de 1953 : belle démonstration, vraiment ! N'enseigne-t-on pas aux étudiants qu'exemples ne font pas preuve ? (je ne discute pas ici le fond, mais la méthode).

Le deuxième procédé, systématique, est d'extraire les citations de leur contexte pour mieux les ridiculiser. N'accuse-t-il pas Claude Liauzu d'appuyer son assertions de profits parfois immenses de sociétés coloniales «tout en n'en donnant que deux exemples... et à une seule date, 1913» (p. 128) ? Et l'enquête dont je viens de parler, il ne la connaît pas ? Algérie, Tunisie et Maroc ont eu leurs données dépouillées annuellement de la fin du XIXe siècle (et si je me souviens bien, pour l'Algérie, depuis 1830) ; les plusieurs centaines de sociétés commerciales d'outre mer cotées en bourse étudiées sur un demi siècle par Jacques Marseille, alors qu'il les cite à la page suivante, tout à coup il les a oubliées ? C'est du mensonge par omission ou je ne m'y connais pas...

 

positivisme simplificateur

Ce qui est surtout désarmant dans ce livre, c'est son positivisme simplificateur. Manifestement, la complexité des facteurs historiques est une dimension qui lui échappe. Il s'escrime à discuter à l'unité près le nombre de morts provoqués par la conquête de l'Algérie stricto sensu : c'est à peu près aussi intéressant que de calculer le nombre de tués par balle lors des expéditions des conquistadores en Amérique latine ! Tout le monde sait que ce ne sont pas les guerres de conquête qui ont fait disparaître les 9/10e de la population amérindienne, mais les épidémies, les crises de subsistance, et la désorganisation profonde des structures politiques et sociales préexistantes (même si les expropriations de terres, compte tenu du petit nombre relatif de colons espagnols et portugais concernés, ont été proportionnellement (du moins au XVIe siècle, le seul concerné ici) bien inférieures à celles provoquées par les vagues successives de colons en Algérie (expropriations dont Lefeuvre ne dit mot).

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Alger, cimetière arabe (carte postale ancienne)

Au lieu de cela, nous avons droit à un raisonnement désarmant : ou bien, ou bien ; si le nombre de tués par la guerre a été faible, la colonisation n'y est pour rien : le seul responsable de la baisse effroyable de la population algérienne dans la seconde moitié du XIXe siècle est intégralement due à la crise climatique (chapitre 3. «Les années de misère»). Et la conjonction des facteurs, cela n'existe pas ? Je renvoie pour cette analyse notre auteur à la formidable étude historico-géographique, d'une grande érudition, publiée au début des années 60 par Yves Lacoste, André Nouschi et André Prenant sur l'Algérie, passé et présent 10.

Au-delà du seul cas algérien, on remarque que nombre d'entreprises coloniales dans l'histoire se sont accompagnées d'une chute très nette des populations colonisées : en Amérique latine déjà citée, en Algérie et en Afrique du Sud exactement à la même époque et pour les mêmes raisons, et un demi-siècle plus tard (1885-1920) en Afrique noire où les historiens les plus sérieux s'accordent pour estimer entre un tiers et la moitié, selon les régions, la chute de la population. Cette coïncidence renouvelée ne peut qu'interpeller l'historien. Certes, s'il n'y avait eu, chaque fois, des crises parallèles de pluviométrie et de subsistance accentuées par les retombées des crises économiques des métropoles, on peut espérer que les pertes démographiques auraient été inférieures. Mais ce n'est en aucun cas «ou bien», «ou bien» : lorsqu'il y a une telle redondance des effets démographiques, on ne peut que s'interroger sur les modalités entrecroisées des facteurs explicatifs dont la combinaison a pu s'avérer dramatique, même s'il n'y avait pas préméditation !

 

migrations et racismes

Même étroitesse d'esprit à propos de l'historique, pourtant précisément rappelé, des migrations du travail en : France (chap. 10) : en 1951, il y a 160 000 Maghrébins (et non pas «coloniaux»), en France, soit «moins de 1% de la population active». (p. 155). C'est très faible, mais cela ne signifie pas grand chose, tout dépend des catégories socio-professionnelles concernées. Lefeuvre ne le nie pas, mais comme il est facile de biaiser un commentaire ! Il remarque p. 225 que, en 1996, «42% des Français estiment que tous les êtres humains font partie de la même race» et il en paraît content. Mais plus de la moitié des Français croient donc encore que le concept de race est acceptable, et au total près de 20% affirment que ces races sont inégales entre elles, et il trouve cela plutôt rassurant ?

Moi je trouve cela inquiétant, 3/4 de siècle après que la génétique ait démontré le contraire, et trente ans après que Jacquard ait commencé à se donner tant de mal pour en populariser les résultats 11 : ce qui prouve à tout le moins que nos subjectivités sont différentes... De même, chez Renault, les 4/5 des ouvriers non qualifiés, écrit-il, ne sont pas maghrébins et, par conséquent, le rôle des travailleurs colonisés dans la reconstruction française est «marginal» et largement surfait ; l'interprétation ne serait-elle pas modifiée s'il disait exactement la même chose en sens inverse : 20 % de travailleurs maghrébins, tous dans les emplois non qualifiés chez Renault, ce n'est pas rien. Une fois de plus, les chiffres disent surtout ... ce que l'on veut leur faire dire. Alors cela justifie-t-il cet excès attribué à tous les «Repentants»: «Affirmer que [la main d'oeuvre algérienne] a joué un rôle décisif [dans la reconstruction] n'est pas seulement excessif. À ce niveau d'exagération, c'est de fable ? ou de mensonge ? qu'il faut parler» (p. 157). Or, pour justifier sa colère, mystérieusement, les «Repentants» cités se réduisent en fin de compte... à une déclaration de Tariq Ramadan sur France 3 selon laquelle les travailleurs d'Afrique du Nord «ont reconstruit la France» (p. 163).

Bien entendu, Lefeuvre a raison de rappeler qu'il ne faut pas non plus s'obnubiler sur un pan de l'histoire au détriment des autres, et que le «racisme» anti-maghrébin n'a rien à envier à ce qu'il est advenu avant eux aux immmigrés pauvres arrivant en masse : Polonais des houillères, Italiens du bâtiment, etc. Les guerres saintBarthelemycoloniales ont été atroces, mais il a raison de rappeler que beaucoup d'autres guerres aussi ; son long développement sur les massacres vendéens ou sur les camisards (on aurait pu y ajouter les Cathares) renforce bien cette idée-force : les guerres les plus meurtrières et les plus aveugles sont les guerres civiles, car ce sont celles qui, quasi par définition, confondent les civils et les militaires (de même qu'il n'y a jamais eu de guerre sans viols souvent massifs des femmes). D'où la justesse du rapprochement. Le petit Lavisse d'autrefois ne faisait pas autrement, qui enseignait aussi bien les dragonnades de Louis XIV que les enfumades de Bugeaud (est-ce la peine de vouloir minimiser celles-ci (pp. 50-53) ? Bien sûr, comme Lefeuvre l'argumente, si les insurgés s'étaient rendus au lieu de se réfugier dans des grottes, ils n'auraient pas été enfumés : c'est donc «leur faute» ?) Une enfumade est une enfumade et ce ne fut pas la seule, j'en connais au moins une autre assez terrible en Centrafrique - Oubangui-Chari d'alors - en 1931.

Il n'empêche : les hommes d'aujourd'hui ne sont pas tous des historiens, beaucoup ont aussi oublié ou tout simplement ignorent que, depuis toujours, les guerres de religions, quelles qu'elles soient, ont compté parmi les pires. Ce qui demeure dans la mémoire des gens, ce qui a formé à la guerre de guerrilla, et ce qui a justifié la torture (voir Aussaresses), ce sont les guerres françaises les plus récentes, et celles-ci ont été les guerres coloniales... On ne peut nier l'influence de cet héritage dans l'«idée de guerre» en France aujourd'hui. Ce qui apparaît aussi, c'est que les moins intégrés à la France jacobine sont les immigrés les plus récents, et que parmi ces immigrés récents, un nombre très élevé est issu des anciennes colonies (pas tous, il y a aussi les gens d'Europe de l'Est, et les Roumains ne sont guère aimés non plus que le «plombier polonais»). Ceci dit, en moyenne, les immigrés les moins intégrés ne sont plus les Maghrébins : ce sont les gens qui se déversent d'Afrique noire, et comme Lefeuvre ne nous parle que de l'Algérie, cela entâche son raisonnement devenu de ce fait en partie obsolète.

postcolonialité

Enfin, ce que prouve ce pamphlet, c'est l'inculture de son auteur concernant la postcolonialité. Il feint de croire qu'il s'agit de démontrer la continuité chronologique entre périodes coloniale et postcoloniale (entre autres exemples : «la mythologie de la repentance... sert à justifier le continuum entre la période coloniale et aujourd'hui», p. 199). Pour comprendre la pensée postcoloniale, renvoyons à quelques lectures de culture, par exemple le numéro spécial récent de la revue Esprit paru sous ce titre 12. Le postcolonial, ce n'est pas une période : c'est un mode de penser pluriel qui consiste à relire le passé et à le réutiliser, ou à en réutiliser l'imaginaire dans un présent imprégné d'héritages multiples, parmi lesquels l'épisode colonial joue son rôle et a laissé des traces, et qui plus est des traces qui ne sont pas les mêmes pour tous, a fortiori du côté des ex-colonisés et du côté des ex-colonisateurs, bien que les deux soient à la fois contradictoires et inséparables, comme l'a déjà montré Albert Memmi à la fin des années 1940 13. Il est intéressant de noter que Lefeuvre ignore ces termes de «colonisés» et de «colonisateurs» ; les concepts correspondants ne l'intéressent visiblement pas ; il n'utilise, probablement à dessein, que le terme «coloniaux» qui, selon les pages, désigne indifféremment les uns ou les autres. C'est un lissage peu convaincant.

Le dualisme simpliste de Daniel Lefeuvre lui fait penser que «les Repentants» expliquent tout à partir de la colonisation. Bien sûr que non, même si personne n'est parfait, et que des contresens peuvent apparaître parfois. L'histoire - et donc la culture nationale - est cumulative, les différents strates de notre passé se sont entremêlés, produisant chaque fois de nouveaux syncrétismes faits de l'accumulation de toute notre histoire. S'y ajoute, ce qu'il rappelle fort bien (p. 153 à 190), que depuis la seconde guerre mondiale le nombre des immigrés originaires des anciennes colonies s'est démultiplié, pour des raisons diverses. Or, malgré ce contexte culturel métissé, l'héritage colonial a été ignoré, nié ou oublié, alors qu'il est si prégnant que cette attitude de déni et d'oubli nous revient aujourd'hui en boomerang de façon violente et parfois irraisonnable : raison de plus pour ne pas l'escamoter à nouveau au nom de la morale de l'autruche !

Je renvoie pour une analyse autrement plus lucide et fine du processus au chapitre consacré par Jean-Pierre Rioux, dans un ouvrage récent, à la mémoire algérienne contrastée 14. Certes, il s'agit aussi d'un pamphlet, mais qui a le mérite (outre de n'être pas injurieux à longueur de page) d'être un vrai ouvrage de réflexion qui souligne la complexité de ce présent «postcolonial » qu'il a parfaitement le droit de déplorer, même si je ne partage guère les mêmes conclusions. Notre historien économiste devrait se mettre un peu à l'écoute de l'histoire culturelle, autrement plus compliquée que des tableaux chiffrés. L'«histoire sociale est reine», avait coutume d'enseigner Henri Moniot, c'est-à-dire toute l'histoire, dans toutes ses dimensions, économique, sociale, politique, intellectuelle... y compris en histoire coloniale !

Catherine Coquery-Vidrovitch
Professeure émérite à l'Université Paris-7 Denis Diderot
février 2007 - source



Notes

1. En revanche le thème de la «repentance» est utilisé par les hommes politiques (par exemple par le président Bouteflika). Mais les politiques ont souvent des raisonnements qui ne tiennent pas la route, en tous les cas qui n'ont rien de scientifique, et par conséquent ne relèvent pas de l'histoire. Donc il faut savoir à qui s'adresse ce livre : aux politiciens, ou aux historiens ? La confusion est totale.

2. Le fait que Olivier Le Cour Grandmaison ne soit pas historien est important : c'est un spécialiste du présent, qui découvre (et fait donc découvrir) avec un effroi non dénué de naïveté les horreurs d'un passé colonial qu'il ignorait ou négligeait. Il réagit en moraliste et, ma foi, s'il propose quelques bêtises, il rappelle aussi beaucoup de faits fort justes... Les historiens, eux, savent d'une part que le fait colonial a existé depuis les débuts de l'histoire et, côté horreurs de la guerre, ils en ont hélas vues d'autres. Mais ceci n'est pas une raison pour minimiser ce qu'on connaît le mieux au nom de la «concurrence des victimes».

3. Jean-Louis Triaud, La Légende noire de la Sanûsiyya : une confrérie musulmane saharienne sous le regard français, 1840-1930, Paris : Maison des sciences de l'homme, 1995, 2 vol.

4. Voir, entre autres, Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France 1871-1919, Paris, PUF, 1968, t.1, pp. 267-277, et Politiques coloniales au Maghreb, Paris, PUF, 1972, pp. 110-120. Patricia M.E. Lorcin, Imperial Identities : Stereotyping, Prejudice and Race in Colonial Algeria, Londres, I.B. Tauris, 1995.

5. La constitution du Nigéria (1999) stipule «The Government of the Federation or of a State shall not adopt any religion as State religion» (chapitre 1, section 2, article 10).

6. Gilles Manceron, (introduit par), 1885 : le tournant colonial de la république. Jules Ferry contre Georges Clémenceau, et autres affrontements parlementaires sur la conquête coloniale, Paris, La Découverte, 2006.

7. François Bobrie, «Finances publiques et conquête coloniale : le coût budgétaire de l'expansion coloniale entre 1850 et 1913», Annales ESC, no 6, 1976, pp. 1225-1244.

8. Les bordereaux informatiques de l'enquête n'ont pas été intégralement publiés, mais ils ont abondamment servi à plusieurs thésards, dont Jacques Marseille (qui avait dépouillé tout ce qui concerne l'Indochine), Hélène d'Almeida-Topor (qui a inventorié tout ce qui concerne l'AOF) et plusieurs autres. Une exploitation comparative globale mais limitée dans le temps (1924-1938) a donné lieu à une publication qui fait toujours autorité : «L'Afrique et la crise de 1930», Revue Française d'Histoire d'Outre-Mer, n° 232-233 (parution 1978), Actes du colloque de l'Université Paris-7, 380 p. L'enquête a aussi donné lieu à plusieurs mises au point dont, entre autres, de ma part : «À propos des investissements français outre-Mer : firmes d'Afrique occidentale», in Actes du 2ème Congrès des Historiens économistes français (M. Lévy-Leboyer éd.), La Position internationale de la France, Paris, EHESS éd., 1977, pp. 413-426 ; «Le financement de la "mise en valeur" coloniale. Méthode et premiers résultats», Etudes africaines offertes à Henri Brunschwig, EHESS, 1983, pp. 237-252 ; «Enquête statistique sur le commerce extérieur des territoires francophones d'Afrique de la fin du XIXème siècle à l'Indépendance», in G. Liesëgang, H. Pasch et A. Jones (eds), Figuring African Trade: Proceedings of the Symposium on the Quantification and Structure of the Import and Export and Long Distance Trade in Africa c.1800-1913, Berlin, D. Reimer, 1986, pp.34-45.

9. Mon «amour immodéré de l'Afrique», en sus «troublé par des considérations idéologiques» [lesquelles ?] comme il l'écrit p. 122, m'a en effet incitée à démontrer en quelque 600 pages que l'Afrique équatoriale française fut pour la France un fardeau dont les résultats économiques furent, jusqu'à la seconde guerre mondiale, quasi nuls, si l'on excepte quelques rares compagnies forestières de triste mémoire (dont l'une évoquée par Louis Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit sous le nom évocateur de «Compagnie Pordurière» par laquelle il fut employé au Cameroun) : Le «Congo français» au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Paris, Mouton, 1972 (rééd. Éditions de l'EHESS, 2001, 2 vol.).

10. Yves Lacoste, André Nouschi et André Prenant, L'Algérie : passé et présent. Le cadre et les étapes de la constitution de l'Algérie actuelle, Paris, Éditions sociales, 1960.

11. Albert Jacquard, Éloge de la différence, la génétique et les hommes, Paris, Seuil, 1978.

12. «Pour comprendre la pensée postcoloniale», Esprit, n° 330, décembre 2006, pp. 76-158.

13. Portrait du colonisé, suivi de Portrait du colonisateur, d'abord publié dans la revue Esprit

15. Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire, pp. 126-148, Paris, Perrin, 2006. 

 

* Daniel Lefeuvre répondra prochainement au compte rendu de Catherine Coquery-Vidrovitch

- voir aussi : "Réplique à un argument de Catherine Coquery-Vidrovitch : un historien peut-il faire dire ce qu'il veut aux statistiques ?" (Michel Renard) 

 

__________________

 

la charia dans le nord du Nigéria

- au sujet de l'application de la charia dans le nord du Nigeria, Catherine Coquery-Vidrovitch écrit ci-dessus : "jusqu'à plus ample informé, fort heureusement, aucune condamnation n'a pu être exécutée". Le rapport 2006 d'Amesty International sur le Nigéria précise que, malgré plusieurs condamnations à mort, notamment par les tribunaux "islamiques" du nord du pays, aucune mise à mort n'a eu lieu.

Cependant, d'autres peines sont exécutées. Ainsi,charianiger le 7 février 2002, un reportage de Maryse Burgot et Dominique Bonnet sur France 2 montrait l'amputation de la main droite, effectuée à l'hôpital et sous anesthésie générale, à l'encontre d'un paysan qui avait volé un boeuf ; elle filmait le tribunal dans lequel un juge avait lui aussi condamné un paysan pauvre à l'amputation... (ci-contre, la main coupée du voleur de boeuf...!!).

 

 

- quant à l'avocate nigériane, Hauwa Ibrahim, lauréate du Prix Sakharov en arton91892005, elle expliquait alors "avoir travaillé sur 47 affaires liées à la Charia, les peines prononcées, a-t-elle dit, sont inhumaines, lapidation, fouet, amputation." source

 

 

M.R.

 

 

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26 avril 2007

Les colonies maltraitées (Éric Roussel)

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Les colonies maltraitées

Éric ROUSSEL

 

12197318_pVoulant être une référence, l'ouvrage multiplie erreurs, lacunes et approximations. Dommage.

REPENTANCE : loi entravant toute discussion historique sur tel ou tel aspect du passé. A priori, le climat ambiant n'est guère favorable à l'étude de la colonisation. Réunie autour de l'universitaire Claude Liauzu, une équipe vient pourtant de relever le défi. Entre ceux qui exaltent les côtés les plus positifs de l'épopée coloniale et d'autres, selon lesquels la France a mené une entreprise calamiteuse, voire criminelle, le parti pris des auteurs est celui d'un juste milieu. Dans une certaine mesure, le pari est tenu.

Signée par Frédéric Turpin, auquel on doit d'excellents travaux sur l'Indochine, la notice relative à François Mitterrand, ministre de la France d'Outre-Mer sous la IVe République, est notamment un modèle d'équilibre : si les tendances réformatrices et libérales du futur chef de l'État sont bien soulignées, son attachement aux structures coloniales ne l'est pas moins. Dans les grandes lignes, les développements d'ordre événementiel (guerre d'Indochine, guerre d'Algérie) apparaissent également honnêtes et de bonne facture.

D'où vient donc le sentiment d'insatisfaction suscité par cette entreprise ? Passons sur certaines erreurs. Fort sévère pour les militaires et les colons dans son roman La Rose de sable, Henry de Montherlant n'était nullement officier : tout au contraire, il avait refusé de le devenir avec obstination. Quant à Pierre Boisson, nommé gouverneur général à Dakar en juin 1940 par le socialiste Albert Rivière, ministre des Colonies du premier gouvernement Pétain, il devait sa carrière brillante à son loyalisme républicain : on voit donc mal en quoi il pouvait être tenu pour sûr par le régime de Vichy - qui d'ailleurs n'existait pas encore.

Passons aussi sur certaines lacunes. Pourquoi, par exemple, consacrer des développements au Parti communiste indochinois ou de la région de Madagascar et passer sous silence le Parti communiste français ? Il n'aurait pas été inutile de revenir sur le fait qu'en 1940, au lendemain de l'entrée en guerre de l'Union soviétique, le PCF refusa toute idée d'autonomie des départements algériens, qu'en 1945 il couvrit la répression des émeutes de Sétif, qu'en 1955, après les tragiques événements de la Toussaint 1954, il condamna une «rébellion irresponsable» et enfin, qu'un an plus tard, sous le gouvernement Guy Mollet, il vota les pouvoirs spéciaux demandés par le ministre résident, Robert Lacoste ?

Plus graves sont des interprétations erronées. Prétendre ainsi que l'indépendance de la Tunisie fut ressentie par Pierre Mendès France (PMF) comme une trahison de sa politique est pour le moins discutable. S'il est exact que le processus d'autonomie interne, enclenché par le discours de Carthage en juillet 1954, ne débouchait pas directement sur une émancipation complète du protectorat, il reste qu'en fait il aboutit à ce résultat et que PMF ne s'en indigna pas. Les Tunisiens, du reste, saluèrent toujours son initiative. Encore plus contestables sont les passages décrivant la politique du général de Gaulle en Algérie : trop succincts, ils ne rendent compte ni de la complexité de sa position ni de l'évolution de sa pensée.

Éric Roussel, Le Figaro, 26 avril 2007

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Éric Roussel, à gauche

 

 

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19 avril 2007

l'insurrection malgache de 1947 (Jean Frémigacci)

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Madagascar, insurrection de 1947

 Ce que révèlent

les reconstitutions historiques

un entretien avec Jean FRÉMIGACCI

 

- Les Nouvelles - En quoi les recherches récentes menées par votre équipe apportent-elles une nouvelle vision des "Evènements de 1947" ?

Jean Frémigacci
- Vaste question... Je dirai que jusqu'ici, nous n'avions aucune étude d'ensemble de ce qui s'est passé sur le terrain, mais seulement des travaux très généraux sur les origines de l'insurrection, vue comme découlant de la situation coloniale générale ; ou sur le face-à-face entre le pouvoir et les nationalistes malgaches, conclu par le célèbre "Procès des parlementaires". Quant à ce qui s'est passé sur le terrain, on s'est contenté de parler de répression "féroce" en se retranchant derrière "la chape de silence" que les Français auraient imposé sur ce qui se passait. Ce qui est une première affirmation fausse : car l'insurrection malgache de 1947 a été la première révolte coloniale à connaître une médiatisation intense dès mai 1947, organisée par le parti communiste qui vient juste, le 5 mai, de quitter le gouvernement pour entrer dans l'opposition. 1947 est aussi, ne l'oubliez pas, la première année de la guerre froide.

Tout d'abord, je préciserai que si nous avons pu progresser considérablement dans la connaissance de 1947, c'est parce que de vastes fonds d'archives ont été ouverts depuis une dizaine d'années en France : les archives militaires de Vincennes livrent le détail de la chronologie et de la géographie de l'insurrection, jusqu'au niveau du village. Les archives d'Aix-en-Provence complètent celles d'Antananarivo ouvertes depuis près de 20 ans en donnant tous les acteurs des "Evènements de 1947" dans le sens le plus large. Il est absurde, soit dit en passant, de se plaindre de la "fermeture" des archives, même si toutes ne sont pas encore accessibles.

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carte postale ancienne
ayant voyagé en 1903

 

Que nous apprend donc le terrain ? D'abord, qu'il faut revoir complètement les cadres chronologique et spatial d'un mouvement qui a été bien plus qu'une insurrection localisée sur 1/6ème de l'île. Le 29 mars 1947 a été tout autant un point d'aboutissement qu'un point de départ. A partir de mai 1946, un mouvement de désobéissance civile, de véritable dissidence des populations se développe dans certaines régions de l'île, et pas seulement dans celles qui se révoltent. Le MDRM (ndlr : Mouvement démocratique de la rénovation malgache) chevauche ce mouvement de fond bien plus qu'il ne le provoque ou le stimule. Et tout cela débouche sur un climat pré-insurrectionnel dès novembre 1946 qui a d'importantes conséquences : la répression administrative et policière qui s'ensuit a eu pour résultat que certaines régions très dynamiques, comme l'extrême Sud ou le Nord-Est n'ont pu se joindre, plus tard, à l'insurrection... car leurs cadres étaient déjà emprisonnés. C'est le cas par exemple de Monja Jaona dans l'Androy, arrêté dès le 10 novembre 1946 et qui ne sortira de prison que quatre ans plus tard. Contrairement à ce que suggère son intervention dans le film de Danièle Rousselier, ou Philippe Leymarie dans Le Monde Diplomatique, Monja Jaona n'a joué aucun rôle en 1947-1948.

L'autre conséquence à souligner : ce climat quasi-insurrectionnel a joué un rôle pédagogique essentiel en accréditant l'idée ou plutôt l'illusion lyrique que le Fanjakana frantsay était à l'agonie. Un dernier coup d'épaule, et il s'effondrerait. D'où, le 29 mars, le thème de "trois jours" : trois jours de révolte suffiront, et ensuite, les Américains et les Anglais imposeront aux Français affaiblis la reconnaissance de l'indépendance de Madagascar. C'est à la lumière de ce thème qu'il faut comprendre l'impréparation extraordinaire de la révolte. Personne n'imaginait qu'on en avait pour 1 an, 1 an et demi... Pour compléter ce renouvellement des perspectives, je dirai que ce qui s'est passé alors à Majunga, Antalaha ou Fort-Dauphin est aussi important que l'insurrection proprement dite à Moramanga ou Sahasinaka, si l'on veut comprendre l'évolution ultérieure de Madagascar. C'est là un axe de recherche essentiel, qui a exigé énormément de tempo et de travail de ma collègue, Lucile Rabearimanana.

Les Nouvelles - Avez-vous découvert du nouveau en ce qui concerne les origines, les responsables du déclenchement de l'insurrection, et le cheminement de celle-ci ?

Jean Frémigacci - L'enquête menée dans les archives et sur le terrain devrait nous permettre de rejeter définitivement la thèse, très défendue en France surtout, suivant laquelle 1947 aurait résulté d'un complot de la sûreté coloniale pour abattre le MDRM. Or notre recherche collective fait émerger des réseaux de militants qui se préparent à l'insurrection en débordant le MDRM légaliste et dont la police ignore tout : c'est par exemple ce qu'a découvert Célestin Razafimbelo dans la région de Moramanga.

Ce que l'on appelle le complot policier est postérieur au 29 mars. Il s'agit de l'utilisation de la violence pour obtenir des «aveux» permettant d'accuser Ravoahangy, qui en fait n'était pour rien dans l'affaire. Ce qui n'est pas le cas de Raseta qui lui, semble bien avoir été le chef occulte de la Jina, la société secrète qui a joué le rôle d'allumette déclenchant l'explosion. Mais pour les Français, l'homme à abattre, c'était Ravoahangy. C'était une très grosse erreur de leur part, car Ravoahangy était leur meilleur interlocuteur possible.

Les réseaux qui ont déclenché l'insurrection étaient essentiellement composés par ce qu'on peut appeler la petite bourgeoisie merina provinciale. Pourtant, il serait très réducteur de ramener le mouvement à un complot des Merina ! Car le fait essentiel, ici, c'est que, entre avril et juillet 1947, à la faveur de la disparition de toute autorité coloniale en brousse, on voit se développer une immense jacquerie paysanne, constituée de foyers très largement autonomes, à fondement le plus souvent ethnique, chez les Antemoro (qui créent une "République autonome de Namorona"), les Tanala, les Betsimisaraka, suivant des modalités tellement variées qu'il serait plus juste de parler des insurrections malgache de 1947...

Dans tout cela le MDRM passe rapidement à l'arrière plan, un chef historique comme Radaoroson dit même qu'il faut l'oublier. Et sauf dans la région de Moramanga, le réseau de militants merina doit laisser le pouvoir aux chefs de guerre locaux. Si certaines sociétés, comme les Antemoro et les Tanala, préservent leur cohésion, d'autres comme les Bezanozano ou les Betsimisaraka sont déchirées par des luttes sociales, ou également par un banditisme social qui terrorise les populations encore plus que le Sénégalais : Tovo Rakotondrabe a été frappé par son ampleur dans la région de Brickaville.

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Tabataba, film de Raymond Rajaonarivelo (Madagascar, 1993) - source

En bref, en 1947, à Madagascar, on a l'éventail complet des types de résistance à un pouvoir colonial : un mouvement nationaliste moderne, des révoltes primaires exprimant des fureurs paysannes, et même un mouvement religieux qui mêle croyances ancestrales (comme la croyance dans Tokanono) et messianisme protestant... Et il vaut mieux ne pas adhérer à la légende rose qui voit dans chaque révolté de 1947 un citoyen politiquement formé, conscient et organisé, prêt à donner sa vie pour sa patrie... Car alors, cela voudrait dire que, depuis, les Malgaches ont énormément régressé, ce qui est une idée absurde. De même qu'il ne faut pas voir le MDRM comme un modèle idéal de parti national jamais égalé depuis. Dans un travail remarquable, Denis Alexandre Lahiniriko a parfaitement pointé ses faiblesses. Ses 300.000 membres affichés étaient beaucoup plus fictifs que réels. Car les adhésions s'étaient faites collectivement, par villages entiers, souvent sous l'impulsion des fonctionnaires locaux, chefs de canton, médecins de l'Ami (ndlr : Assistance médicale indigène)... En fait, il n'y avait pas de place pour l'individualisme, pour le choix individuel à l'époque... Et les insurgés de la côte Est se sont battus pour leur indépendance dans un cadre local beaucoup plus que pour une République démocratique de Madagascar. À l'époque, ils prenaient encore le mot de tanindrazana dans son sens étroit et concret, non dans son sens général et abstrait comme nous le faisons aujourd'hui. D'où, d'ailleurs, un effet pervers qui est le réveil des ethnies.

Les Nouvelles - Nous en arrivons maintenant à la question la plus sensible, celle de la répression coloniale et du bilan des pertes de l'insurrection. Quelle est votre opinion là dessus ?

Jean Frémigacci - La réponse est difficile. Qu'est-ce qu'une répression «féroce», qu'est-ce qu'une répression «modérée» ? C'est largement une affaire d'opinion subjective. Dans ce domaine, à mon sens, on ne peut que prononcer un jugement relatif, en procédant par comparaison, dans le temps et dans l'espace. Je suis parfaitement conscient du risque de causer un scandale en émettant l'opinion que la répression militaire, après une série de crimes de guerre commis dans les 6 premières semaines, a été relativement mesurée ensuite.

Pour être bref, je dirai que dès juin-juillet 1947, des instructions formelles de modération dans la répression sont données aux troupes, et les données d'archives comme les enquêtes de terrain auxquelles j'ai procédé en pays Tanala, Antemoro et Betsimisaraka montrent que ces instructions ont été largement suivies. Cette modération n'a pas de quoi étonner, c'était la seule politique possible : le problème, pour les Français, c'était de regagner la confiance des populations en fuite, et de les faire rentrer dans leurs villages. On ne pouvait y arriver par la violence. Quant aux insurgés, trop mal armés pour représenter un danger réel pour les soldats coloniaux, ils n'ont pas suscité la haine de ces derniers, comme le «Viet» en Indochine ou le Fellagha en Algérie.

Les Nouvelles, du 30 mars 2005
 jeudi 31 mars 2005,
napetrak'i / mis en ligne par Nary

 

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17 avril 2007

l'envahissante guerre des mémoires (Claude Liauzu)

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l'envahissante guerre des mémoires

Claude LIAUZU

 

Éric Savarese, Algérie, la guerre des mémoires, Non lieu, 2007 ; Benjamin Stora. Entretiens avec Thierry Leclère, La guerre des mémoires. La France face à son passé colonial, l’Aube,2007.

Deux livres, parmi beaucoup d’autres, sortis au même moment et consacrés à ce problème méritent attention. Jamais depuis un demi-siècle on n’avait autant parlé du passé colonial. Après Vichy et la Shoah, il envahit, on le sait, la vie publique.
Le livre d’Éric Savarese s’achève sur une question : comment en finir avec la guerre des mémoires ? Il souligne en sociologue le caractère récent, l’actualité de ce problème, cet enchevêtrement de passés qui passent mal et des questions du présent, de la crise actuelle de la société française. Dans son premier chapitre, il tente un bilan des études historiques. Sa distinction entre l’histoire, qui étudierait les événements, et l’anthropologie centrée sur la situation coloniale, est discutable : cette notion due à Balandier a été en effet utilisée (insuffisamment) par notre discipline. Les frontières entre sciences de la société le cèdent aujourd’hui aux approches pluridisciplinaires.

Les chapitres 2 à 4 sont consacrés à l’analyse des mémoires algériennes et à celles des pieds noirs en particulier. Dans ce domaine qu’il a contribué à fonder, Éric Savarese est très intéressant. La conclusion insiste avec force sur l’importance d’une redéfinition des usages de l’histoire. Comment ne pas être d’accord avec ce travail fondé sur une longue réflexion et une documentation abondante ?

Une connaissance intime, une sensibilité personnelle, des questions pertinentes de Thierry Leclère : il en résulte un dialogue vivant, clair, agréable à lire avec Benjamin Stora sur des questions difficiles, controversées.

signature
Benjamin Stora à la Librairie "Atout Livre" (Paris 12e), le 31 mars 2006 - source

Même s’ils ne sont pas toujours d’accord avec Benjamin Stora, des historiens se retrouvent dans sa déontologie : ne pas ignorer les rapports entre notre travail et les guerres de mémoires, ne pas réduire ces rapports à une dépendance. Le temps est venu  de prendre position, de défendre le métier en le renouvelant, en réaffirmant sa fonction sociale.
Confrontés aux guerres de mémoires et aux enjeux publics de ces guerres, aux liens entre présent et passé, le sociologue, l’historien et le journaliste montrent qu’il est possible de diffuser un savoir spécialisé sans cultiver l’histoire-spectacle, la mise en scène, les mots qui pèsent trop lourd et les images choc.

Une occasion de concrétiser ces objectifs est fournie par la controverse concernant le projet de mémorial de l’Algérie française et de l’OAS soutenu par la municipalité de Perpignan (mais qui a valeur générale pour Nice, Marignane, Toulon, Montpellier, Aix, etc.). Un groupe d’historiens spécialistes du Maghreb  propose un contre-projet. Ce petit groupe, dans le respect de la pluralité des interprétations, proposera non la Vérité mais des repères et des garde-fous aussi bien contre ceux qui instrumentalisent l’histoire au service du «rôle positif» de la colonisation que contre ceux qui en font un procès anachronique et manichéen. Notre fonction est de comprendre et faire comprendre le passé et ses rapports avec le présent.

Claude Liauzu

 

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Algérie, 1954-1962 - Algérien !.. Choisis...  la vie avec la France,
la mort par le fellaga. L'armée française te protège.
Avec elle chasse le fellaga
(source : base Ulysse Caom)

 

- Éric Savarèse : bio-biblio
savarese

 







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