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études-coloniales
30 avril 2012

rapatriés et harkis : lettre ouverte à Nicolas Sarkozy

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lettre ouverte au Président de la République

Bernard COLL

 

Monsieur Nicolas SARKOZY

Le 30 avril 2012

Monsieur le Président de la République,

 

Le 14 avril 2012, suite à votre visite au camp de Harkis de Rivesaltes, dans votre allocution à Perpignan pour la remise de la Grand-Croix de la Légion d’Honneur à notre ami le général François MEYER, un juste qui a sauvé ses Harkis en n’acceptant pas d’appliquer les ordres criminels alors imposés par le gouvernement du général De Gaulle à l’armée française, vous avez reconnu la responsabilité de la France dans l’abandon des Harkis après le 19 mars 1962. Cinq ans après à votre engagement solennel du 31 mars 2007 devant plus de 200 représentants de la communauté harkie.

Un abandon qui ne pouvait conduire, comme l’avait démontré le professeur Maurice Allais dans son ouvrage L’Algérie d’Evian (L’Esprit Nouveau, juillet 1962), qu’au génocide de la population pro-française d’Algérie. Un abandon dont la conséquence dramatique avait été annoncée par le général De Gaulle  lui-même dans sa conférence de presse du 23 octobre 1958 : «Quelle hécatombe connaîtrait l’Algérie si  nous étions assez stupides et assez lâches pour l’abandonner».

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Depuis le 25 septembre 2008, onze annonces dans Le Monde et Le Figaro, financées par 42 associations et 1600 donateurs pour un budget de 100.000 euros, vous ont invité régulièrement à tenir votre engagement du 31 mars 2007. Comme nous l’avons aussi été fait lors de toutes les réunions Etat-Rapatriés jusqu’au départ précipité de M. Hubert Falco fin 2010.

S’il vous a fallu cinq années pour honorer votre engagement du 31 mars 2007, c’est parce que cette reconnaissance marque une rupture difficile dans 50 ans d’un «mensonge français» comme l’avait déjà souligné dans son ouvrage en 2003 votre conseiller Georges-Marc Benamou. Vous avez affirmé récemment dans le Figaro du 22 avril : «Tout doit être débattu, sans hypocrisie, sans esquive sans faux-fuyant. Les Français ont le droit à la vérité». Beaucoup de nos compatriotes Harkis et Pieds-noirs doutent encore de votre volonté officielle de « vérité ». Car en 1962 la «France» c’était le général De Gaulle. Pour que votre reconnaissance du 14 avril 2012 soit effective, il faudrait que  «sans hypocrisie, sans esquive et faux-fuyant» vous reconnaissiez le véritable responsable de l’abandon et du massacre des Harkis et de milliers des disparus pieds-noirs et soldats français et que la Nation l’entérine par une loi.

Par sa politique algérienne du 19 mars 1962, le général De Gaulle est responsable d’un crime d’État qui a conduit à un crime contre l’Humanité. C’est ce que nous affirmons, à la suite du professeur Maurice Allais, depuis 1990 dans les médias et récemment encore dans Le Huffington Post. Sans jamais avoir été contredit.

Quatre millions de Français rapatriés et descendants qui vont avoir à s’exprimer dans une semaine vous demandent d’affirmer cette vérité sur la responsabilité du général De Gaulle dans leur abandon le 19 mars 1962. Pour beaucoup de Français d’Algérie et leurs nombreux amis, seule la reconnaissance de cette réalité historique est susceptible de les convaincre de la sincérité de votre déclaration du 14 avril 2012. En cinq jours il vous est encore possible de rattraper cinq années perdues.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

 

Bernard COLL - Secrétaire général de JPN
BP 4 – 91570 Bièvres

Pour l’ensemble des soutiens de la campagne «2008-2012 : Vérité et Justice pour les Français rapatriés ».

 

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"le général De Gaulle est responsable d'un crime d'État"

 

 

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23 avril 2012

Ben Bella démystifié, par Lounis Aggoun

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Ben Bella, l’agneau qui se voyait

plus méchant que les loups

Lounis AGGOUN

 

Si l’Histoire de l’Algérie est fâchée avec la vérité, il est un cas sur lequel tous (historiens, témoins, acteurs directs, journalistes, politiques) sont résolus à mentir. C’est l’épisode de la passation de pouvoir entre la France et l’Algérie, en 1962. Le tabou des tabous. Il est donc normal que le principal personnage de cette transition frelatée, Ben Bella, soit sous l’emprise de l’imposture permanente et du mensonge soigneusement entretenu.

On aura beau savoir que Ben Bella est le fossoyeur de tous les rêves des Algériens, le mythe persiste, colporté de plume en plume, d’ouvrage en ouvrage, un demi-siècle durant. Qui est donc Ahmed, Ben Bella ? Comment s’y est-il pris pour supplanter des révolutionnaires aguerris, Abbane, Krim, Abbas, Khider, etc. ? Ben Bella est-il un patriote ou un être méprisable ?

Vu du côté français, il a fait la campagne d’Italie et s’est distingué par sa bravoure. Il a été décoré de la main du général de Gaulle. Missionné pour garantir l’«étroite  coopération avec la France» de l’Algérien indépendante, il a fait de son mieux, n’hésitant pas à livrer les populations touarègues aux radiations nucléaires pour permettre à son mentor de se forger l’arme de la dissuasion. Mais, somme toute, le compte n’y fut pas et l’Algérie se mua vite en intarissable source de turpitudes pour la France. Vu du côté algérien, c’est la dictature, la police parallèle, les exécutions sommaires, les privations, les injures, le vol, le viol, et le renvoi aux calendes grecques de tous les rêves de liberté. Au final, Ben Bella aura trahi tout le monde…

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Adjudant de l’armée française, arriviste accompli

Le premier épisode de son militantisme a lieu à la fin des années 1940. Et le seul acte «révolutionnaire» à mettre à son actif est le rapt de la Poste d’Oran. Un travail d’amateur délinquant. C’est Mohamed Belouizdad, créateur de l’organisation secrète, l’OS, branche militaire du PPA-MTLD, qui y initie Ben Bella. Belouizdad succombe à la tuberculose. Hocine Aït Ahmed le remplace. Puis, «crise berbériste» aidant, celui-ci est destitué par Messali, au profit de Ben Bella, sous la direction duquel l’OS est démantelée en un temps éclair.

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Tous les hommes de valeur de cette révolution se sont vite méfiés de lui. En 1956, dit Ferhat Abbas, «le Dr Lamine Debaghine […] me mit en garde contre Ben Bella.» Quant à Abbane Ramdane, il ne mâche pas ses mots : «C’est Ben Bella qui dénonça en 1950 notre organisation spéciale, l’OS ; du moment qu’il était arrêté, rien ne devait subsister après lui. C’est un ambitieux sans courage. Pour parvenir à ses fins, il passera sur le corps de ses amis. Il est sans scrupule.» Il fit mieux, il passa sur le corps de son peuple, avec des chars.

Alors que tous les appels des maquis en mal d’armement restent lettre morte – pour rappel, cette logistique est la principale mission de Ben Bella au Caire –, «Ouamrane et Abbane échangèrent […] avec Ben Bella une correspondance tumultueuse, raconte Yves Courrière : "Envoie-nous des armes ou des fonds pour les acheter, écrivaient les Algérois. Il faut au moins 100 millions." "Impossible, répondit Ben Bella, nous n’avons pas un sou !" La réponse arriva sous forme d’ultimatum : "Si vous ne pouvez rien faire pour nous à l’extérieur, revenez crever avec nous. Venez vous battre. Autrement, considérez-vous comme des traîtres !"»

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Larbi Ben M'Hidi

Lors d’une réunion des chefs de la révolution au Caire, en 1956, «Ben M’Hidi, l’un des plus courageux Fils de la Toussaint, n’avait jusque-là fait qu’observer les hommes et écouter attentivement les propos. Depuis le début de la conférence, il semblait écœuré par l’attitude dominatrice de Ben Bella. "Dis-donc, Grunther, tu te prends vraiment pour le leader ! C’est toi qui commandes tout !" L’allusion de Ben M’Hidi cingla Ben Bella. Perdant son sang-froid, il bondit sur son compagnon pour le frapper ! Aït-Ahmed et Mahsas l’en empêchèrent.

Ben Bella dut sans répliquer entendre Ben M’Hidi, méprisant, dénoncer ses méthodes personnelles et surtout son manque d’empressement à trouver des armes. "Tu as raison Ben Bella. Il est temps que chacun regagne son poste. Le mien est à l’intérieur. Je vais rejoindre Krim et Abbane. Au moins, là-bas, nous lutterons.» Et ils moururent, laissant le champ libre à Ben Bella, l’incurable comploteur.

On chercherait en vain, hors de ses marionnettistes (Hervé Bourges, Abdelaziz Bouteflika, Fathi al-Dib, etc.) quelqu’un qui dirait du bien de Ben Bella. Le parti pris ici est de faire confiance au portrait qu’en donnent ses camarades de lutte… Un homme rongé par une ambition à laquelle ses potentialités intrinsèques ne le destinent pas (il avait le niveau de 4e), égocentrique, «sans scrupules» et prêt à passer «sur le corps de ses amis» pour parvenir à ses fins.

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Deux épisodes principaux de l’épopée d’Ahmed Ben Bella méritent l’attention : sa rencontre avec Fathi al-Dib, pour le compte de Nasser au Caire, et avec Hervé Bourges, pour le compte du général de Gaulle. Chaque fois, il dut trahir la cause algérienne pour préserver l’éclat de son étoile. Manœuvrant dans un univers hostile, démasqué par tous les vrais combattants, il n’en finit pas moins premier Président d’une Algérie dite indépendante.

Lors de son arrestation en 1950, nul ne porte atteinte à son intégrité physique (c’est lui qui en témoigne). Pourtant, la police parvient en un temps record à démanteler tout l’appareil aux destinées duquel il présidait. Plus de 500 personnes arrêtées, dans une organisation secrète soumise à un cloisonnement sévère. En comparaison, «le Constantinois fut relativement peu touché par la répression. L’appareil, dirigé par Boudiaf, resta pratiquement intact, à la différence de l’Oranie où il fut décapité», note Gilbert Meynier.

Emprisonné à la prison de Blida, il s’en évade dans des conditions rocambolesques. Les témoignages postérieurs font peser de lourds soupçons sur Ben Bella. La suite de l’histoire démontre qu’il est, sans l’ombre d’un doute, déjà un agent de la DST. Il se retrouve alors au Caire. Partant de là, pour faire sens, son action doit être considérée sous deux points de vues antagonistes. Pour les Algériens, il doit seconder Mohamed Khider et Aït Ahmed pour ravitailler les maquis en armes. Pour la DST, il s’agit d’avoir un œil sur Gamal Abdel Nasser dont les visées nationalistes inquiètent déjà et, bien sûr, contrarier autant que faire se peut l’efficacité des réseaux du FLN de l’extérieur.

 

La Caire

«Officiellement, c’est Mohamed Khider que le MTLD a envoyé au Caire, Ben Bella et Aït Ahmed ne l’ont rejoint que plus tard. Mais Ben Bella a pris le pas sur ses deux compagnons grâce aux bonnes relations qu’il a su lier avec […] Gamal Abdel Nasser.»

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Est-ce quelque charisme irrésistible qui lui a permis de trouver ces bonnes grâces ? En fait, note Yves Courrière, dès son arrivée, «Ben Bella avait été humilié de ne pouvoir s’exprimer qu’en français […]. L’exposé de Ben Bella "en français" avait fait scandale devant la Ligue arabe où il avait expliqué la situation algérienne.» Venu pour organiser la logistique de la guerre, il n’obtint rien des Égyptiens. «Les services spéciaux de Fathi al-Dib […] auraient volontiers fourni armes et subsides si Ben Bella s’était engagé à participer en tant que section algérienne au grand projet nassérien de Révolution Nord-Africaine, groupant la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. […] Pour l’heure, Ben Bella ne pouvait jouer d’autre rôle que celui de "public relations" de la révolution en marche. L’action ne pouvait venir que d’Algérie, que de l’Intérieur.» Mais ce n’est que partie remise.

C’est Fathi al-Dib qui est l’homme de Nasser pour la révolution algérienne, et qui fait sienne la cause de Ben Bella. Or, pour ce dernier, fournir des armes au maquis, c’est aider l’ennemi, les «Kabyles». Comment montrer qu’il est le chef de la Révolution algérienne, sans ravitailler les maquis ? Cet exploit improbable, Ben Bella le réussit néanmoins. Quelle promesse fit-il pour convaincre Nasser de l’aider dans sa quête ? On peut supposer que le Président égyptien n’est pas homme à se contenter d’effusions amicales.

Dès lors, «Ben Bella fait bande à part, avaient confié les deux beaux-frères [Mohamed Khider et Aït Ahmed], il joue un jeu bizarre avec Nasser. Il est le seul à le voir. Ils semblent assez liés.» Voyant que Fathi al-Dib n’a que le nom de Ben Bella à la bouche, Aït Ahmed explose : «Apprenez, Major, qu’il n’y a dans notre mouvement aucune place prépondérante. Je suis l’égal de Ben Bella, tout comme l’est Khider et les chefs de l’intérieur.»

Mohamed Khider
Mohamed Khider

Mouvement d’humeur qui n’est pas du meilleur effet. Et pour enfoncer le clou, Ben Bella dépeint ses camarades comme de dangereux activistes, «accusant Khider, le fidèle à la religion, d’être un frère musulman, secte dont Nasser se méfiait comme de la peste, et Aït d’être communiste. Seul Ben Bella jouait le rôle de "pur révolutionnaire ne pensant qu’à son pays. La manœuvre préparée par l’ancien adjudant auprès de ses amis égyptiens allait coûter très cher au FLN. […] Mais dès que la grossière tactique serait connue à Alger, elle allait provoquer une crise entre l’intérieur et l’extérieur qui allait influer sur toute la conduite des opérations en Algérie. Elle marquait en outre le début d’une rivalité sans exemple entre Ben Bella et Abbane Ramdane.»

 

si Ben Bella est un agent des services français...

Une crise profonde, en 1956 déjà ? Si Ben Bella est un agent des services français, il aspirerait illico à une médaille militaire et sa promotion serait assurée. Si Khider est un «frère musulman», Aït un «fanatique Kabyle», Abbane apparaîtra bientôt aux yeux de Fathi al-Dib comme un poison au sein de la révolution algérienne et Ben Bella l’antidote. D’autant que les récriminations envers l’Égypte sont injustifiées puisque Nasser finance de fait depuis des mois le ravitaillement en armement des maquis algériens.

Les injures dont Ben Bella est la cible ne peuvent dès lors provenir que de velléitaires incompétents et ingrats. Et lui-même de se donner le beau rôle, balayant tout cela d’un revers de main, plaidant même l’indulgence, comme Jésus sur son chemin de croix proclamant : «Ne les condamnez pas mon [frère], ils ne savent pas ce qu’ils font.» Ben Bella, le saint Ben Bella !

Reste à s’assurer que les armes ne parviennent jamais aux maquis algériens laminés par la répression. Pour cela, Ben Bella parvient à convaincre le chef des services égyptiens que le meilleur itinéraire est non pas via la Tunisie et la Libye, mais par le Maroc et la wilaya 5, au prix d’un immense et périlleux détour. La wilaya 5 contrôlée par Boussouf. Les armes parvenant au Maroc s’entassent ainsi dans des hangars et les maquis intérieurs continuent à se battre dans des conditions indigentes. Cela donne lieu à quelques révoltes que Boumediene, successeur de Boussouf dans l’Oranie, réprime – comme d’ordinaire – dans le sang.

Ben-Bella

La double propagande égyptienne et française fait progressivement de Ben Bella «le leader de la Révolution algérienne». Si bien que lorsque, en juin 1957, au Congrès du Caire, Abbane Ramdane tente de dénoncer l’imposture auprès du chef des services secrets égyptiens, il tombe sur une fin de non-recevoir. Voici ce qu’en dit Fathi al-Dib lui-même. «Nous devions cependant prendre conscience du fait […] qu’il nous faudrait éviter les situations pleines d’embûches qui ne manqueraient pas de se produire du fait de la présence d’Abbane Ramdane, connu pour son ambition personnelle.»

Comment un Kabyle, laïque, aspirant à mettre l’Algérie sur les rails de la démocratie, de la modernité, peut-il convaincre le chef des services égyptiens que Ben Bella est un traître à la cause de son peuple ? Le même Ben Bella qui, depuis des années, s’est attaché à le convaincre qu’il était seul à se battre pour préserver l’Algérie future dans le giron de l’arabo-islamisme. Un Ben Bella qui, selon les termes mêmes de Fathi al-Dib, «faisait de son côté tous les efforts possibles pour empêcher l’éclatement de la révolution, même au détriment de sa santé.» Et pour couronner le tout, Abbane explique que Ben Bella a failli dans sa mission de ravitailler les maquis auprès d’un Fathi al-Dib qui s’est personnellement chargé depuis des mois des envois.

 

c’est Fathi al-Dib qui fait tout le boulot

Car c’est Fathi al-Dib qui fait tout le boulot ; c’est lui qui affrète les bateaux (7 envois, selon ses dires) pour assurer leur transport. Le rôle de Ben Bella s’est borné à fournir les coordonnées de destination, au Maroc. Charge à Boussouf et à Boumediene de faire que leurs légitimes destinataires ne les reçoivent ensuite jamais. Si l’on examine Ben Bella sous l’angle du révolutionnaire algérien, il a totalement failli. En revanche, si on le conçoit comme un agent de la France, alors il a accompli sa mission à la perfection.

À ce stade, Ben Bella peut même s’offrir le luxe de la grandeur : les reproches que lui font les maquis de l’intérieur, disait-il à Fathi al-Dib, il faut les mettre sur le compte de la fatigue des combattants, plaidant pour que «ces événements n’aient pas de conséquences sur la livraison d’armes par l’Égypte et que ce conflit soit minimisé.» Et de surtout ne pas tenir rigueur à ses invités : «Ben Bella m’avait demandé de bien accueillir Ferhat Abbas et son groupe pour leur remonter leur moral et leur faire sentir que l’Égypte soutenait leur cause.» Machiavel aurait-il ressuscité en cet homme ?

Au sortir de ce congrès, les leaders de la révolution s’alignent sur les thèses des militaristes, les «3 B» [colonel Belkacem Krim, Ben Tobbal Lakhdar, Boussouf Abdelhafid]. Éconduit par Fathi al-Dib, Abbane ressort écœuré. «Contre les thèses sécularisées de la Soummam, satisfaction était aussi donnée à Ben Bella : la résolution finale réaffirmait la légitimation religieuse : la future "république algérienne démocratique et sociale" ne serait "pas en contradiction avec les principes de l’islam."».

Les germes de la dictature sont plantés. Abbane exprime alors son souhait de rentrer en Algérie pour reprendre la lutte aux côtés des maquisards. Sentant le danger, décision est prise de le liquider physiquement. Il est étranglé dans une ferme isolée à la frontière marocaine où Belkacem Krim et Bentobbal l’entraînent pour le remettre à Boussouf.

Aban+Ramdane
Abane Ramdane

En apprenant l’assassinat d’Abbane, Ben Bella exulte : «En vérité, nous n’avons jamais désespéré de voir un jour se normaliser nos relations. Il est en effet impensable qu’une révolution comme la nôtre puisse se laisser égarer par une ou plusieurs personnes quand ces dernières sont animées d’un esprit malsain, partout intéressé et partout malfaisant. Nous ne pouvons que vous encourager dans cette voie de l’assainissement. Il est de notre devoir à tous, si nous tenons à sauver la révolution de l’Algérie et de demain, de nous montrer intraitables sur le chapitre de l’épuration […] Nous considérons qu’un grand pas vient d’être fait. Le devoir vous commande, vous qui êtes libres, de ne pas vous arrêter là […] Nous ne pouvons que vous appuyer dans la chasse de tous les germes de la décomposition qui ont pu se faufiler dans notre sein.»

La radio «Saout al-Arab» forge la légende Ben Bella, charge à Fathi al-Dib de remplir la mission qui lui incombe. Une fois cependant, il décide de donner de sa personne. Et quel navire Ben Bella affrète-t-il ? L’Athos, un yacht universellement connu pour le trafic d’armes : «J’avais eu une discussion très vive à ce sujet avec Ben Bella […], raconte Fathi al-Dib, car j’avais déjà préparé pour le voyage [un autre navire…] le Davax et d’autre part parce que je n’avais confiance ni en Ibrahim Nayal [l’armateur], ni dans le navire Athos […]. Au cours de cette discussion, je m’étais rendu compte que Ben Bella voulait occuper le devant de la scène depuis son conflit avec Abbane.» Il était temps ! Mais cette prise de conscience n’infléchit en rien le soutien qu’il accorde à son protégé.

Qu’advient-il à l’Athos ? Il est arraisonné au large du Maroc. Ce qui permet à la France de présenter au monde la preuve que l’Égypte finance «les terroristes», de claironner que le Caire est le siège de la rébellion et que Ben Bella en est de ce fait le «Chef» suprême. Rappelons qu’à ce stade, l’homme n’a à son actif que l’attaque de la Poste d’Oran, un fiasco, et l’armement de l’Athos, arraisonné en haute mer par la marine française. Ou l’art de faire d’aucune pierre deux coups.

 

De la prison dorée à la Présidence

Le 22 octobre 1956, l’avion transportant la délégation extérieure de la révolution de Rabat à Tunis est arraisonné en plein ciel. C’est encore un de ces épisodes invraisemblables de cette drôle de guerre. Toujours est-il que voici maintenant Ben Bella en prison. Dès lors, la Fédération de France ne lésinera pas sur les moyens pour l’en extraire.

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Les réseaux Curiel, les réseaux Jeanson, tout ce qui compte comme «porteurs de valises», amis de la cause algérienne, se mettent à la disposition de la rébellion pour l’aider à s’évader. Ben Bella laisse faire et attend. À l’approche du jour J, il trouve un prétexte quelconque pour différer l’opération ou pour l’annuler. Les bruits ont couru sur le projet d’une évasion qui se solderait par la liquidation des fuyards. Un homme y a cru fermement : Fathi al-Dib.

Qui se donne pour mission de sauver le soldat Ben Bella à tout prix. «Nous avions chargé, fin 1957, nos attachés militaires en Europe de prendre contact avec des spécialistes des opérations d’évasion parmi ceux qui avaient déjà une réputation», raconte-t-il. Il renonce à ce premier projet, trop violent à son goût, avant de se voir proposer une autre option, «grâce à deux hautes personnalités allemandes, aidées par huit jeunes nazis, et en s’appuyant sur l’accord conclu avec l’un des directeurs de la prison de la Santé [contre] 15 000 livres égyptiennes.»

Tout est prêt. Mais Fathi al-Dib a la malencontreuse idée de soumettre le plan à Ben Bella. «Après quatre jours d’attente, […] à la demande de Ben Bella, […] l’opération [est reculée] de trois jours […]. Quatre jours plus tard, les Allemands nous [font] savoir que Ben Bella demandait de reculer encore de huit jours l’opération et que, pendant ce temps, il ne fallait pas le contacter. […] Le 28 juin, […] l’avocat de Ben Bella était arrivé […] pour m’informer que l’opération avait été découverte.»

La raison pour laquelle Ben Bella ne voudrait quitter la prison pour rien au monde tient à cela qu’il est au centre de toutes les sollicitudes. Une fois au chaud en Métropole, il n’est pas question pour lui de repartir au front, où on «purge» à tout va. Il faut préparer l’avenir, l’Algérie indépendante. Nasser veut quelqu’un pour l’ancrer dans le giron «islamique et arabe». Ben Bella sera cet homme-là.

 

Mohamed Bourges, et Hervé Bella, ou vice versa…

Hervé Bourges est missionné pour chaperonner cet ambitieux désillusionné. Cela se passe alors que de Gaulle piétine, et n’entrevoit de porte de sortie que dans une «Algérie indépendante, en étroite coopération avec la France». Il lui faut quelqu’un pour assurer cette perspective. Ben Bella sera cet homme-là.

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Hervé Bourges
dans les années 1990

Ben M’Hidi est éliminé par le 11e de Choc du général Aussaresses, après qu’il ait décliné l’habituelle offre de «retournement». Abbane est étranglé dans une ferme isolée à la frontière marocaine par les «3B». Ce sont les deux yeux lucides de la révolution qui sont ainsi crevés, l’un par les militaires français, l’autre par les militaires algériens. Les «3B» : Trois colonels qui éprouvent l’un pour l’autre une haine sourde. Une aubaine pour plus ambitieux et plus résolu qu’eux : Boumediene. Lequel a besoin d’une caution politique. Ben Bella sera cet homme-là.

Ben Bella est prêt à servir la cause de quiconque lui promet un bel avenir. Fathi al-Dib le bien nommé chef des services égyptiens, Boumediene, le sanguinaire, de Gaulle, l’éternel Sauveur pressé par le temps. Trois hommes aux grandes ambitions, et dont les plans désignent le futur président de l’Algérie : Ben Bella. Pourquoi voudrait-il quitter cette prison dorée où tout lui sourit ?

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De Gaulle, 1960

On connaît l’argumentation de Boumediene pour l’enrôler, on peut aisément imaginer celle développée par Hervé Bourges. Ben Bella, c’est l’homme de la campagne d’Italie, un «vrai» révolutionnaire, que des gueux sans épaisseur risquent de reléguer à des accessits insignifiants. Qu’il joue le jeu du Général et il sera le prochain Président.

 

Un coup d’État, et l’impossible partage du butin…

Ben Bella sort de prison après la signature des accords d’Évian, qu’il s’empresse de dénoncer, disqualifiant en un coup toute la frange politique de la révolution. Reste à s’imposer par la force. Il s’envole illico pour le Caire.

Fathi al-Dib l’accueille : «Ben Bella a cherché refuge auprès du Président Gamal Abdel Nasser pour lui exposer le plan qui pouvait lui permettre d’affronter les partisans du compromis avec la France et pour lui demander de renforcer ses effectifs afin de donner plus de force à son action.» Il rencontre Nasser en tête à tête. «Ben Bella avait renouvelé sa demande de soutien à Nasser pour faire face à la situation de l’intérieur, surtout du côté de l’armée. […] Nasser lui avait demandé de quelle nature étaient les difficultés auxquelles il s’attendait. […] Nasser avait conclu en assurant Ben Bella du soutien inconditionnel et illimité de la RAU à l’Algérie. Après s’être donné l’accolade, les deux chefs s’étaient séparés.»

À la frontière tunisienne, l’armée des frontières commandée par Boumediene reçoit rapidement du renfort. Ses troupes, raconte Fathi al-Dib, «seraient appuyées par une force aérienne de : 12 Mig-17 (dont les pilotes avaient été formés sur ces appareils). 8 hélicoptères d’une capacité de 16 hommes. 1 poste central radio. Tous les techniciens égyptiens nécessaires pour faire fonctionner l’aéroport. Nasser avait lui-même porté la mention suivante sur le plan : "La livraison sera effectuée dans 30 jours à partir du 9 avril 1962" pour les matériels [suivants] : 100 jeeps, 100 camions de 3 tonnes, 100 camions divers, 20 cuisines roulantes, 5 voitures de dépannage, 50 voitures 750 kg pour tracter les canons, 40 voitures blindées, 6 Mig-15, 6 avions égyptiens.»

Mais contre qui cette armada restée inerte durant les années de feu compte-t-elle se battre, puisque la France a entériné la fin de la colonisation ?

Fort des garanties de Nasser, Ben Bella se rend le 11 avril à Tripoli pour préparer le Congrès qui sonnera le glas de la liberté pour les Algériens, inaugurant le malheur d’un million d’Européens, et la mort pour plusieurs milliers d’entre eux, tandis que la chasse déjà ouverte au harki fera au moins 50 000 victimes. «De leur côté, écrira Fathi al-Dib, Khider et Aït Ahmed étaient restés au Caire quelques jours pour se reposer avant de rejoindre Tripoli.» Il est des repos de guerrier qui se paient cher.

 

l’armée des frontières envahit l’Algérie

Telle une nuée impitoyable, l’armée des frontières envahit l’Algérie. Elle écrasera sous les chenilles de ses blindés ce que les opérations du général Challe ont épargné de l’ALN, l’armée de libération nationale. Et jettera aux orties tous les rêves de liberté des Algériens.

Devenu président, Ben Bella doit maintenant payer la facture de son couronnement. Il a dû tout promettre à Nasser. Promettre le même tout à de Gaulle. Et le promettre de nouveau à Boumediene. C’est dans cette conjoncture où une proie frêle, l’Algérie, est convoitée par maints prédateurs, que se déroulent les premiers pas de l’Indépendance. Une indépendance de polices parallèles, de services égyptiens, de services français, de KGB, de torture, de liquidations sommaires, d’exodes, d’exils, de deuils individuels par millions que les décennies n’apaiseront jamais. Une dictature qui ira en se sophistiquant.

Mais Ben Bella en avait posé les jalons essentiels : pour régner en maître, il suffit d’accuser les uns d’être «frères musulmans, secte dont le monde se méfie comme de la peste», et les autres d’être «communistes» ou «berbéristes». Un cocktail imparable, pour diviser et régner, une malédiction que le peuple algérien ne parvient pas à conjurer cinquante ans après…

Lounis Aggoun
23 avril 2012
LounisAggoun

 

 

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19 avril 2012

débat idéologique (Jean-François Paya)

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boulanger éventré pa le FLN à Oran, le 5 juillet 1962 à Oran


 

informations pour contrer le débat idéoogique

Jean-François PAYA

 

Chers amis Algérianistes,

Devant nos efforts pour faire connaître les drames issus de "La guerre d'Algérie" surtout, depuis qu'elle était virtuellement terminée (officiellement le 2 Juillet 1962) et depuis l'Indépendance (massacre des Harkis ; 5 Juillet à Oran et autres) nos détracteurs gênés se rabattent sur des évènements antérieurs.

Ceux-ci sont à discuter mais ils oublient ces précisions fondamentales alors que le FLN vient de faire adopter massivement "les accords d'Évian" et que toutes ses exactions antérieures, "terroristes ou pas" (actions de guerre pour lui!) sont amnistiées et les protagonistes condamnés libérés !

La LDH de Toulon qui a passé plus de 12 articles, contre un des miens (avec une observation de partialité!) sur le 5 Juillet 62, vient de poursuivre son combat idéologique sur ce terrain en ayant "oublié" aussi de rendre compte des travaux de Jean-Jacques Jordi et de son dernier ouvrage Un Silence d'État sur les disparus civils européens et du

9782916385563FS

récent livre de Guillaume Zeller sur les massacres d'Oran, ainsi que nos interventions dans l'excellent Blog de la revue Etudes Coloniales où contrairement à celui de la LDH chacun peut exprimer son point de vue librement,

http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2012/02/16/23538008.html

Estimant qu'il faut connaître ce "qu'ils disent" avec lucidité, quitte à être critiqué. Je porte à votre connaissance ces informations, pour ceux qui veulent savoir et contrer ce combat idéologique.

J.-F. Paya

EXTRAIT texte  de la LDH

Le massacre des Européens d’Oran au moment de l’indépendance algérienne commence à être connu en France, et reconnu par les pouvoirs publics. Certains rapatriés d’Algérie en avaient fait une de leurs revendications mémorielles fondamentales.

L’historien algérien Fouad Soufi écrivait en novembre 2000 : «Le 5 juillet 1962, alors que partout la population algérienne célèbre la fête de l’indépendance, dans le centre de la ville d’Oran, des hommes, des femmes et des enfants algériens et européens trouvent la mort dans des conditions atroces, non encore élucidées» .

D’autres attentats meurtriers intervenus auparavant sont, en revanche, à peu près complètement ignorés en France : ceux visant des civils algériens que l’OAS a multipliés à Alger et à Oran au cours de la période allant de début janvier à début juillet 1962… Ci-dessous, un petit dossier sur cet aspect mal connu de la fin de la guerre d’Algérie.

[Mis en ligne le 26 février 2012, mis à jour le 27]

http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4880 

 

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18 avril 2012

Delanoë veut contrôler les historiens de la colonisation et de la guerre d'Algérie

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L'historien et le Revizor

Alain-Gérard SLAMA

 

Un demi-siècle s'est écoulé depuis les accords d'Evian, censés avoir mis fin aux hostilités en Algérie le 18 mars 1962. Ces accords, négociés dans une atmosphère d'apocalypse entretenue par le FLN et par l'OAS, abandonnèrent les pieds-noirs sans protection aux enlèvements, à la violence et à l'exode, et les harkis désarmés au massacre. On conçoit que le rappel de cette déchirure laisse encore un goût amer.

Dans l'ensemble, les grandes chaînes de télévision ont saisi cette occasion pour diffuser de manière relativement équilibrée des images de la guerre d'Algérie inédites, atroces, mais parfois aussi généreuses de part et d'autre, qui auront permis, on l'espère, de sortir du masochisme d'usage quand il est question du passé colonial.

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On ne prévoyait pas en revanche que des fonctionnaires de l'État ou des collectivités locales, inquiets sans doute des conséquences politiques intérieures et extérieures de l'anniversaire des accords d'Évian, s'immisceraient en toute bonne conscience dans le travail des historiens.

Au début de cette année, on apprenait qu'une longue note de Guy Pervillé, historien impeccable de la colonisation, avait été réduite à quelques lignes dans un bulletin du ministère de la Culture consacré aux commémorations de l'année en cours.

Ce sont à présent deux autres historiens, Jacques Frémeaux et Daniel Lefeuvre, qui reçoivent un courrier les convoquant auprès du directeur adjoint du cabinet de M. Delanoë, pour leur faire connaître les raisons qui ont conduit le comité d'histoire de la Ville de Paris à leur adjoindre deux nouveaux membres au sein du commissariat général de l'exposition «Paris et les Parisiens dans la guerre d'Algérie», dont la mission leur avait été confiée. La lettre qui leur a été adressée fait état du souhait de l'Administration de rechercher «une solution scientifiquement rigoureuse et politiquement consensuelle».

Inutile de préciser que, devant pareille mise en doute de leur conscience professionnelle, nos deux historiens ont envoyé à leur Revizor une lettre de protestation accompagnée de leur démission. Jacques Frémeaux est professeur à la Sorbonne et membre de l'Institut universitaire de France. Daniel Lefeuvre, professeur à Paris VIII, est un spécialiste non moins reconnu de l'histoire coloniale. On voit mal ce qu'on pourrait leur reprocher, sinon, au premier, d'être né à Alger et, au second, d'avoir publié en 2006 un essai salutaire intitulé Pour en finir avec la repentance coloniale.

Ainsi, après la Justice et le Parlement, il était temps que l'administration de la République veille à ce que le travail des historiens ne cause de trouble à aucune mémoire sur le territoire national, et à aucun intérêt hors de ses frontières ! On a pu vérifier l'efficacité de cette stratégie à propos du négationnisme du génocide des Arméniens par les Turcs, problème dont le pouvoir politique s'est emparé en espérant rendre justice aux victimes sans contrarier les bourreaux, et qui aura finalement achevé de le brouiller avec les uns et les autres.

Publié le 22 mars 2012 - Le Figaro

 

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16 avril 2012

Ben Bella, biographie

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 Ahmed Ben Bella, un itinéraire

 Jean-Louis PLANCHE

 

Mercredi 11 avril dans l’après-midi mourrait à Alger Ahmed Ben Bella, premier président de la République algérienne de 1962 à 1965. Cette mort à 95 ans, entouré des siens, est venue conclure paisiblement une vie dont les engagements avaient pourtant été longtemps consacrés à la politique, sous une forme parfois aventureuse.

Transporté le lendemain au Palais du Peuple, l’ex-Palais d’Eté, résidence du chef de l’État, le corps du défunt recevait les hommages des personnalités et de ses anciens compagnons de combat, avant d’être accompagné vendredi par le président de la République Abd-el-Aziz Bouteflika au cimetière d’El-Alia, et d’être inhumé au Carré des Martyrs où reposent Houari Boumedienne, second président de la République, et l’Émir Abdelkader, héros légendaire. Un deuil national de huit jours était décrété.

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les obsèques de l'ex-président Ahmed Ben Bella

La presse algérienne rapporta que l’événement n’avait suscité aucune émotion dans l’opinion algérienne. Tout juste fut remarquée la coïncidence de cette mort, à quelques semaines près, avec le cinquantième anniversaire de l’indépendance recouvrée par l’Algérie en 1962. Le long retrait de la vie politique que subit Ahmed Ben Bella n’explique qu’en partie ce silence.

Certes, emprisonné puis assigné à résidence pendant 15 ans par Houari Boumedienne qui l’avait destitué violemment en 1965, Ahmed Ben Bella a vécu exilé en Suisse de 1981 à 1990, puis, de retour en Algérie s’est gardé de toute activité politique nationale, se consacrant à des causes lointaines (soutien à l’Irak et à la Palestine), puis à l’altermondialisme et à la religion. La presse ne l’évoquait même plus, les livres d’histoire ne citaient pas toujours son nom. Politiquement, le tumultueux Ahmed Ben Bella n’était plus de ce monde, sinon paradoxalement en France.

 

Né en 1916 à Maghnia en Oranie

Né en 1916 à Maghnia en Oranie, à la frontière avec le Maroc dont son père est originaire, Ahmed Ben Bella a la jeunesse d’un fils de petit paysan, scolarisé jusqu’au brevet, passionné par le football pour lequel il a des dispositions. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il joue à l’Olympique de Marseille et ne porte aucun intérêt marquant à la politique. Mobilisé en 1943, il fait une guerre exemplaire, s’illustre à Monte Cassino, est promu adjudant et décoré des mains du général De Gaulle.

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soldats allemands au Mont Cassino

À son retour au pays en 1945, l’atrocité de la répression menée en mai-juin 1945 dans le Constantinois le bouleverse. Il quitte l’armée et adhère au PPA-MTLD de Messali Hadj dont il devient rapidement un permanent, est élu conseiller municipal de Maghnia, prend en Oranie la tête de l’Organisation spéciale du parti, sa branche armée.

Aventureux et athlétique, il dirige en 1949 le hold-up contre la grande poste d’Oran qui rapporte au PPA-MTLD 3 Millions de Francs (env. 90 000 €).

Cela lui vaut en 1949 d’être promu responsable national de l’Organisation spéciale et en 1950 d’être arrêté, l’enquête sur l’affaire d’Oran ayant abouti. Condamné à 7 ans de prison, il s’évade en mars 1952.

Réfugié en Égypte, il est membre de la Délégation extérieure du PPA-MTLD qui représente les intérêts du parti. Chaleureux, inspirant la sympathie, il se lie d’amitié avec le colonel Nasser et Fethi Al Dib, chef des services de renseignements, se spécialise dans les questions militaires et les commandos. L’Égypte devient en 1954 le principal soutien du FLN et de sa Délégation extérieure.

 

Ben Bella et le FLN d'Abane Ramdane

Les relations de Ben Bella avec Abane Ramdane, principal organisateur et théoricien du FLN en Algérie, sont très vite détestables. Ben Bella supporte mal les décisions prises par le Congrès de la Soummam en 1956 sous l’impulsion d’Abane Ramdane, notamment la primauté au FLN des civils sur les militaires.

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Ben Bella, Nasser et Bourguiba

Il voyage beaucoup, et c’est au retour d’une conférence au Maroc que l’appareil où il se trouve, le 22 octobre 1956, avec la délégation algérienne, est intercepté au-dessus de la Méditerranée par l’aviation française, acte de piraterie aérienne qui compta dans l’isolement de la France en guerre d’Algérie.

Emprisonné jusqu’en 1962 en forteresse militaire, il y gagne de survivre aux aléas de la guerre et des conflits au FLN. Peu connu mais rendu célèbre par sa détention, il devient pour l’opinion algérienne une légende.

 

Président de la République algérienne

Dans ces conditions, et celle du morcellement des centres de décision, à l’issue d’une guerre civile impitoyable qui a duré 8 ans, parvenir au pouvoir suprême est une affaire de chance et d’habileté. Libéré très vite à la suite des Accords d’Évian, il sait jouer le groupe de Tlemcen et l’Armée des frontières qui, n’ayant pas combattu, dispose d’un potentiel militaire intact, contre le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, l’improbable Exécutif provisoire, réfugié à Rocher Noir, son radeau de la Méduse, n’ayant qu’une réalité formelle.

Son sourire radieux et sa mince silhouette d’éternel jeune sportif captivent les foules. Le 27 septembre 1962, il est désigné Président du Conseil, tandis que l’armée achève de ramener l’ordre dans Alger et sa banlieue.

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Tout puissant, il ne peut pas grand-chose tant que la désorganisation n’a pas été jugulée. Elle est si profonde qu’il y faudra du temps. La lecture de la courbe de la consommation nationale d’électricité est éloquente. Elle ne cesse de baisser depuis 1962 et ne commença à se redresser qu’en 1967. La SNCFA par exemple n’a conservé qu’une poignée de techniciens. Par ailleurs, aventuriers, escrocs et pillards venus de tous les horizons se sont abattus sur le pays.

En sens inverse, la destination est mondaine. On peut dîner à Alger à l’improviste chez la nièce d’un futur et hautain président de la République française. Si à l’automne 1962 des rafales de pistolets-mitrailleurs s’entendent encore du côté d’El-Harrach, la ville d’Alger est ensuite la capitale la plus sûre de la Méditerranée, et peut sans danger se traverser de nuit à pied pour les romantiques solitaires.

Certes, il ne faut pas tenter le diable, comme ces jeunes écossaises trop belles et trop inconscientes qui acceptèrent d’être invitées à un mariage dans l’Atlas saharien. C’était leur mariage. Devenues grand-mères, elles y vivaient encore il y a quelques années, entourées de leurs petits-enfants.

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Fidel Castro et Ben Bella

L’époque est aussi au socialisme qui paraît triomphant. Cuba, aux portes des États-Unis, s’est converti à un système qui semble ouvrir les portes du futur. En France même, au Parti communiste, certains responsables rêvent qu’un jour les rapatriés français d’Algérie, conquis eux aussi par contagion, puissent lui servir de tête de pont en France.

 

Les coopérants français

Avec les retours de l’automne 1962, les Français sont plusieurs centaines de milliers en Algérie, où plus de 20 000 coopérants venus de France s’activent dans tous les ministères, jusqu’au Palais du Gouvernement (ex-Gouvernement général). Des fonctionnaires français locaux quittent cependant le pays à l’automne, quand les salaires sont réduits des 2/3, l’Algérie ne pouvant plus leur servir les salaires de la colonie, et les coopérants lui coûtant cher.

Le grand départ des Français se fit après les décrets de mars 1963 qui ont nationalisé les terres coloniales et les ont mise en autogestion, s’inspirant du modèle de la Yougoslavie socialiste. Des Espagnols quittent aussi. "Les Arabes ne peuvent plus nous nourrir", disent-ils.

Il restait cependant à l’automne 1965 près de 60 000 Français d’Algérie. Ceux-là acceptent d’être commandés par des Arabes, et ne partirent que l’âge venant, la médecine n’ayant pas le niveau français, les filles grandissant, le niveau de l’Université baissant, tandis que la France en face est emportée par la hausse continue du pouvoir d’achat que suscitent les "Trente glorieuses", et l’esprit mai 1968 attirant les plus jeunes. Au demeurant, l’émigration des Algériens vers la France bat ses records. Un ouvrier qualifié chez Renault peut gagner autant qu’un jeune coopérant en Algérie.

Ben Bella signe, les attributions de biens vacants, comme les décrets de mars. Il parle bien d’union de l’Islam et du Socialisme. Mais les milieux religieux font grise mine, certains regrettant, en conversation privée, "le temps de la France". Les critiques contre lui sont rares. Elles sont le fait d’opposants politiques, en Kabylie notamment, et de bourgeois dont souvent les familles ont préféré passer sur la rive nord de la Méditerranée, le frère ou le cousin connu pour être un progressiste assurant sur place la gestion des affaires familiales.

Pas dupe, ou revenant vite à la réflexion, l’opinion algérienne apprécie au total Ben Bella. Sa dictature de fait est progressiste, permissive, et accepte de fait bien plus qu’elle ne le dit. Son accord paraît total avec le chef d’état-major des Armées, le colonel Boumedienne, dont la chevelure châtain clair se teint peu à peu en noir, cependant qu’une moustache lui pousse. Et les opposants sont peu à peu ralliés par des prébendes, des rentes de situation, des sinécures, qui désarment leur hostilité.


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Ben Bella et Boumedienne

Une bourgeoisie d’État, discrète, se forme sous ses yeux. Elle choisit d’aller passer le carnaval à Rio plutôt qu’à Nice, apprécie la Suisse pour sa discrétion et son respect de l’argent, préfère Paris, où la discrétion et le respect sont incontestables, mais dont les prix sont si exagérés. Avant la guerre, elle levait parfois le poing dans les manifestations du Parti communiste algérien, ou l’index, dans ceux du PPA-MTLD. Aujourd’hui, elle lève le doigt, à l’adresse du croupier, aux tables de roulettes des casinos d’Europe.

 

Mais Ben Bella ne voit rien, écoute à peine. Peu à peu, devant les obstacles que la réalité des hommes et des forces économiques lui opposent, il renforce ses pouvoirs. En septembre 1963, candidat unique du parti unique, le FLN, il a été élu président de la République. Il cumule les ministères, donnant l’impression à son entourage qu’il vise au pouvoir personnel. Le gouvernement français lui fait de plus en plus grise mine, mais il se rapproche de l’URSS et de la Chine. Il refuse de prendre au sérieux les mises en garde qu’il inquiète et qu’un coup d’État se prépare.

Les blindés de l’armée qui se mettent en place dans Alger le 18 juin 1965 ne sont destinés qu’à la figuration dans le film La Bataille d’Alger que Pontecorvo tourne. En fait, les armes sont approvisionnées. Le samedi 19 juin, à 1h30 du matin, Ben Bella, éberlué, est arrêté au centre d’Alger, dans sa villa dont le service de protection est trop insignifiant pour le défendre.

Ses amis, le colonel Boumedienne et Abdelaziz Bouteflika, sont à la tête du coup d’État militaire qui l’arrête et le déporte. Dans le pays, les manifestations de protestation sont insignifiantes. La fête, commencée le 5 juillet 1962, est finie.

Jean-Louis Planche
auteur de Sétif 1945 : histoire d'un massacre annoncé, Perrin, 2001.

 

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15 avril 2012

"Bye bye Ben Bella"

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un article très critique sur Ben Bella

 

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cliquer sur l'image pour l'agrandir

Philippe Le Claire est chef du service politique de L'Union (Reims)

 

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13 avril 2012

décès de Ben Bella

 
Algérie: qui était Ahmed Ben Bella?

 

décès de Ahmed Ben Bella

 

Ahmed Ben Bella, militant indépendantiste de la première heure, est décédé. Il a été président de l'Algérie entre 1963 et 1965.

AFP

Ahmed Ben Bella est décédé à l'âge de 95 ans ce mercredi. Retour sur le parcours de ce militant indépendantiste devenu le premier président de l'Algérie et qui rêvait d'incarner le Tiers-Monde émergent. 

Ahmed Ben Bella est décédé ce mercredi [11 avril 2012] à l'âge de 95 ans. Lui qui fut le premier président de l'Algérie indépendante de 1962 à 1965, il fut l'un des pionniers du déclenchement de la guerre d'indépendance contre la France, Il a payé son engagement politique de 24 ans de prison, après quoi il s'est voulu l'incarnation du Tiers-Monde émergent. Cet homme, "courageux et bagarreur" selon ses proches, aura combattu toute sa vie. Et même jusqu'à la fin quand les problèmes dus à son âge avancé se sont succédés. 

C'est à la frontière marocaine, à Maghnia, qu'il est né le 25 décembre 1916. Ses parents, paysans pauvres du sud marocain, s'y étaient installés. Après des études secondaires à Tlemcen (ouest), Ahmed Ben Bella part en France pour y faire son service militaire. Il adhère en 1937 au Parti du peuple algérien (PPA) du "père" du nationalisme algérien Messali Hadj.  

En 1944, il est cité quatre fois à la bataille de Monte Cassino (Italie), où il faisait partie d'une unité d'élite, le 5e régiment de tirailleurs marocains (RTM). Il y a perdu deux de ses frères. Il a été décoré de la Médaille militaire par le général de Gaulle, chef de la France Libre. Il raconte cet épisode dans les colonnes de L'Express en 1995.  

 

Retour en Algérie

Ce sous-officier de l'armée française est bouleversé à son retour en Algérie en 1945 par l'ampleur de la répression française des manifestations d'"indigènes". Il rejoint alors le Parti du peuple algérien, rebaptisé Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et devient membre de sa troupe de choc, l'Organisation spéciale (OS).  

Ahmed Ben Bella se distingue alors en organisant le hold-up de la poste d'Oran pour remplir les caisses de son parti. Arrêté en 1950 et condamné à 7 ans de prison, il s'évade de la prison de Blida en 1952 et rejoint un premier noyau de dirigeants nationalistes algériens installés au Caire.

Dans la capitale égyptienne, il se lie d'amitié avec le président Gamal Abdel Nasser, patron des "officiers libres", qui deviendra son mentor politique et apportera un soutien multiforme à sa demande au soulèvement algérien. En novembre 1954, il est l'un des 22 chefs historiques initiateurs du Front de Libération Nationale (FLN) contre la France coloniale.

 

Ben Bella et De Gaulle...

La guerre d'Algérie pour toile de fond, il retrouve son "adversaire", le général de Gaulle. "J'ai une immense estime pour de Gaulle. Adversaires, nous l'avons été, et l'affrontement a forgé le respect mutuel. Quand il est revenu au pouvoir, en 1958, je savais qu'il serait redoutable, mais la stature historique du personnage me donnait confiance sur le long terme. Chef militaire, c'est lui qui nous a porté les coups les plus durs. (...) De Gaulle n'était pas un politicien. Il avait cette dimension universelle qui fait trop souvent défaut aux dirigeants actuels", disait-il dans cet article datant de 1995. 

En octobre 1956, son avion est intercepté par l'armée française au dessus d'Alger. Il est emprisonné en France jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie, en 1962. Il s'allie alors avec le chef d'Etat major de l'Armée de libération nationale (ALN), le colonel Houari Boumediene, et se fait élire, en 1963, premier président de la République algérienne indépendante.

 

Une courte présidence

Charismatique et populaire, il tente d'implanter le "socialisme autogestionnaire" après son arrivée au pouvoir en septembre 1962. Il rêve d'incarner aux côtés du Cubain Fidel Castro, de l'Egyptien Gamal Abdel Nasser, de l'Indien Nehru et du Chinois Mao Tsé-Toung la lutte "anti-impérialiste" et le "non-alignement" du Tiers-Monde émergent. 

Il rêve d'incarner aux côtés du Cubain Fidel Castro la lutte

Il rêve d'incarner aux côtés du Cubain Fidel Castro la lutte "anti-impérialiste" et le "non-alignement" du Tiers-Monde émergent.

AFP

Mais il n'est pas resté longtemps à la tête du pays bien que confirmé par les urnes comme chef de l'Etat le 16 septembre 1963. Son compagnon, ministre de la Défense et vice-président, feu Houari Boumediene, dont l'actuel président Abdelaziz Bouteflika avait toujours été proche, l'a renversé en le 19 juin 1965 puis emprisonné."Il ne s'attendait pas à être trahi par Boumediène", selon son biographe Mohammed Benelhadj. 

En 1981, gracié et libéré par le successeur de Boumediene, Chadli Bendjedid, Ben Bella s'exile pour un temps à l'étranger, notamment en France, et fonde le Mouvement pour la démocratie en Algérie (MDA) sans parvenir à mobiliser. Rentré à Alger en septembre 1990, il se retire de la vie politique nationale et se consacre à des dossiers internationaux (Palestine, Irak) et rejoint les "altermondialistes" dans leur lutte contre "la mondialisation capitaliste".  

Revenu en Algérie après l'élection en 1999 de Bouteflika, il soutient sa politique de réconciliation nationale avec les islamistes et endosse en 2007 sa dernière fonction officielle: président des Sages de l'Union africaine, chargés de la prévention et de la résolution des conflits. 

Avec

source

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Ben Bella, premier chef d’État algérien, est mort

Hassan ZERROUKY

 

Dirigeant historique du Front de libération national, Ahmed Ben Bella, qui s’est éteint hier à Alger, à l’âge de 96 ans, fut le premier président d’une Algérie indépendante et socialiste.

En avril 1944, quand le général de Gaulle décore de la médaille militaire l’adjudant Ahmed Ben Bella du 5e régiment des tirailleurs marocains, il ne savait pas qu’il avait devant lui le futur président de la République algérienne.

Ahmed Ben Bella, né le 25 décembre 1918 à Maghnia dans une famille de petits paysans, est décédé hier à Alger, à l’âge de 96 ans. Le premier président de l’Algérie indépendante, hospitalisé le 22 février à l’hôpital militaire d’Aïn Naadja, avait été donné pour mort par la presse algérienne avant que l’une de ses filles ne démente l’information. Il en est ressorti très affaibli au point où des sources proches du pouvoir algérien affirmaient qu’il n’en avait pas pour longtemps et qu’il était maintenu artificiellement en vie.

C’est au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, après avoir été démobilisé, qu’il s’est lancé résolument dans la lutte politique. «C’est à Oujda que me parvint l’écho des événements du 8 mai 1945 (…) La répression de Sétif avait creusé un infranchissable fossé entre les deux communautés (algérienne et européenne). Je me devais à la mienne», raconte-t-il dans un livre écrit par Robert Merle, Ahmed Ben Bella. De retour à Maghnia, il adhère au MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) issu du PPA (Parti populaire algérien), fondé par Messali Hadj.

Aux élections municipales de 1947, il est élu conseiller général. Mais après des démêlés avec l’administration coloniale, il plonge dans la clandestinité. Il fait partie de l’OS (Organisation spéciale) sous les ordres d’Hocine Aït Ahmed (futur dirigeant du FLN), une organisation créée par le MTLD pour préparer l’insurrection armée. Après l’attaque de la poste d’Oran à laquelle il prit part, l’OS est démantelée, Ben Bella est arrêté en 1950 et condamné à sept ans de prison. Incarcéré à Blida, près d’Alger, il s’évade en 1952 et se réfugie au Caire où se trouvent Aït Ahmed et Mohamed Khider.

C’est au Caire qu’il apprend la création, en mars 1954, du Crua (Comité révolutionnaire d’unité et d’action) dont il n’est pas membre, dont sera issu le FLN. Avec Ait Ahmed, Ben Bella est alors chargé de diriger la délégation extérieure du FLN basée au Caire.

En 1956, il est arrêté une deuxième fois lorsque l’avion qui le conduisait du Maroc en Tunisie en compagnie d’Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Mohamed Khider est détourné. Incarcéré sur l’île d’Aix, il ne retrouvera la liberté qu’en mars 1962. Lors de la crise du FLN de l’été 1962, il prend le parti des militaires opposés au GPRA (gouvernement provisoire) dont il contestait la légitimité. C’est ainsi qu’il s’impose comme chef du FLN, écarte ses adversaires et prend le pouvoir en septembre 1962. Élu en septembre 1963 président de la République, Ben Bella opte pour le socialisme autogestionnaire. Le 19 juin 1965, il est renversé par un coup d’État et ne retrouvera la liberté qu’en 1980.

Hassan Zerrouky
L'Humanité, 12 avril 2012

 

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12 avril 2012

la Mosquée de Paris, victime d'un délire anti-"illuminati" (ajout du 20 avril)

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manipulation et délire :

sur un prétendu symbole "illuminati"

à la Mosquée de Paris

Michel RENARD

 

Il circule depuis quelques semaines une vidéo affirmant que le minaret de la Mosquée de Paris comporte un symbole "illuminati". Après avoir visionné cette vidéo, je suis choqué et en colère contre l'indigence intellectuelle de l'auteur et la manipulation à laquelle il a procédé...!

1) l'essentiel de cette vidéo est constitué de ma propre parole...! recueillie par interview dans le documentaire "Musulmans de France, de 1904 à nos jours" (France Télévisions, 2009) ; entretien accordé à Mohamed Joseph qui était venu  chez moi l'année précédente.

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J'y explique seulement le paradoxe POLITIQUE d'un projet de mosquée à Paris soutenu par le Parti radical, dont une bonne partie est effectivement affiliée à la franc-maçonnerie et fer de lance de la laïcité. Mais le président du conseil, Édouard Herriot, qui inaugure la Mosquée le 16 juillet 1926 n'a jamais été franc-maçon, lui...!

Je n'ai jamais parlé d'influence occulte dans le décor architectural de la Mosquée de Paris...! Pourquoi utiliser, à mon insu, mon propos pour me faire dire l'opposé de ma pensée ?!

2) le triangle n'est pas une forme géométrique ignorée du décor islamique, même s'il est rarement représenté seul. Sa symbolique hérite du nombre 3 et est à la base de la mesure de l'espace par le procédé de triangulation bien connu des mathématiciens et astronomes arabes au Moyen Âge.
Le triangle est l'une des trente-sept pièces à géométrie simple utilisé par les zelligeurs dans les décors de mosaïque.

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le triangle, une des figures géométriques des zelliges

 

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le triangle, une des figures géométriques des zelliges


Au Maroc, les pierres tombales des souverains saadiens, à Marrakech, sont constitués d'une dalle surmontée d'un élément à base triangulaire.

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Et dans le décor des muqarnas, la forme du triangle termine souvent une pièce modulaire.

On trouve aussi des triangles, à la Mosquée de Paris, sur le décor du minbar offert par la Tunisie à l'époque...

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minbar offert par la Tunisie

 

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en voilà des triangles...


Il faut arrêter la paranoïa qui voit des symboles "illuminati" partout...!

Michel Renard
termine un livre sur l'histoire de la Mosquée de Paris

 

- le tableau des figures géométriques est issu du livre Arabesques. Art décoratif du Maroc, Jean-Marc Castera, ECR Éditions, 1996, p. 114-115.

 

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critique et réponse

Il m'a été répondu, le 14 avril : "Ce triangle a le sommet séparé du reste donc rien à voir avec votre description."

Voici ma réplique (15 avril) :

La comparaison de ce motif décoratif inséré dans le creux du mur du minaret de la Mosquée de Paris et l'image figurant sur le billet d'un dollar américain est infondée. Pourquoi ?

L'image reproduite sur le dollar n'est pas une pyramide dont le sommet serait séparé par le halo des rayons d'une lumière irradiante. En réalité, il y a deux éléments distinctifs : une pyramide tronquée dont la tridimensionnalité est signifiée par la vision de deux faces de l'édifice, et un triangle qui ne peut être le sommet de cette pyramide parce qu'il n'est pas tridimensionnel. C'est une figure triangulaire plate enfermant l'œil de la connaissance.

Sur le minaret de la Mosquée de Paris, on distingue deux éléments. À la base, ce n'est pas une pyramide, parce que se combinent deux types de lignes : des lignes obliques et des lignes verticales. Or, une pyramide ne comporte pas de lignes verticales.

Par ailleurs, le triangle supérieur ne peut, lui non plus évoquer le sommet d'une pyramide parce qu'il ne comporte aucune tridimensionnalité. On dirait plutôt une toile de tente canadienne…

Reste la question de savoir ce que signifie cette insertion en creux dans la pierre… Cela ne semble pas redevable d'une nécessité fonctionnelle. Seulement d'une intention décorative. Mais laquelle ?

Je continue à chercher. En tout cas, l'interprétation "symbole illuminati" est réduite à néant. La comparaison avec l'image du dollar ne tient pas debout. Il s'agit d'une sur-interprétation, d'un abus analogique.

Michel Renard
après discussion avec Jean-Marc Castera
auteur de Arabesques. Art décoratif du Maroc, ECR Éditions, 1996.

 

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ajouts interprétatifs

J'ajoute (17 avril) que le motif du triangle entaillé dans la pierre du minaret peut se trouver sur certaines mosquées au Maghreb, par exemple sur celle de Nédroma (Algérie). On ne pourra invoquer une prétendue symbolique "illuminati" ni franc-maçonne puisqu'elle fut édifiée en 1145 et le minaret en 1348 par l’architecte Muhammad al-Sîsî certainement influencé par le style des Almohades (source).

Michel Renard

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Nouvel ajout (18 avril) : on trouve sur la mosquée turque de Divrigi un dispositif décoratif géométriquement similaire à celui relevé sur le minaret de la Mosquée de Paris. À la base, une porte dont la partie supérieure est formée de lignes obliques et qui se poursuit vers le bas par des lignes verticales. Au-dessus, un empilement de quatre lignes horizontales portant des dessins et des calligraphies. Enfin, plusieurs triangles dont celui qui est au centre a le sommet exactement situé dans le prolongement des lignes obliques du haut de la porte.

Michel Renard

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mosquée de Divrigi (Turquie)

 

 

Nouvel ajout (20 avril) - Je reçois aujourd'hui de précieux renseignements de la part de François Gruson, architecte très compétent et spécialiste de "l'architecture maçonnique" ("pour autant que celle-ci existe", comme il dit) que j'avais sollicité à la recherche d'informations techniques et symboliques.

François Gruson écrit, à propos du minaret de la Mosquée de Paris : "il s'agit visiblement d'une réinterprétation d'un arc en tas de charge avec une traverse intermédiaire, comme cela se pratique avec les techniques de pisé (tas de charge en terre sèche et tirant en bois). Je pense que vous pourriez trouver cela entre le sud-marocain, le Mali ou la Mauritanie". C'est exact.

J'ai découvert deux exemples de ce type d'agencement. D'abord celui de la mosquée de Chinguetti, en Mauritanie, considérée par les fidèles comme le septième lieu saint de l'islam. Elle fut construite au XIIIe siècle… la franc-maçonnerie n'existait pas…! Le motif de décoration triangulaire y est traditionnel. En architecture, un arc en tas de charge désigne une assise de pierres à lits horizontaux que l'on place sur un point d'appui, ; là, apparemment on le place au-dessus d'une ouverture.

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J'ai déniché également une figure décorative, certes un peu différente, mais présentant des apparentements avec les précédentes. Il n'y a pas l'ébauche de lignes pyramidales mais la distribution entre une base, une travée la surmontant puis un triangle coiffant le tout est la même.

Il s'agit de la mosquée de Gaya au Sénégal, lieu de naissance d'el-Hadj Malik Sy (1855-1922), leader de la tariqa Tijaniyaa au Sénégal au lendemain de la conquête française.

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rien de maçonnique sur le minaret de la Mosquée

Enfin, François Gruson est formel : "Si je ne suis pas spécialiste de l'architecture islamique, je crois au contraire bien connaître l'architecture maçonnique, pour autant que celle-ci existe. Je puis affirmer sans réserve que le motif qu'on voit au pied du minaret n'a rien de maçonnique".

Il ajoute : "Un de vos contradicteurs dit que la franc-maçonnerie emprunte ses symboles à d'autres traditions : il a raison et c'est particulièrement vrai du triangle et de l'oeil, symbole cher à la contre-réforme (cela s'appelle une Gloire en termes iconographiques), et qu'on peut voir notamment sur le maître-autel de la chapelle royale du château de Versailles, lieu bien peu maçonnique s'il en est (à moins qu'on ne soit plus à un anachronisme près !).

C'est également particulièrement vrai du pentagone concave, ou pentagramme, qui est un symbole présent en franc-maçonnerie... comme en l'Islam : nos paranoïaques de service pourraient filmer toutes les étoiles à cinq branches qui figurent dans les mosquées et les balancer sur le net en parlant de symboles maçonniques ! Encore faudrait-il pour cela s'intéresser à ce qu'est réellement la franc-maçonnerie et ses symbole !

Votre contradicteur a également raison quand il affirme qu'en franc-maçonnerie "tout est symbole", à condition toutefois de comprendre ce que le terme de "symbole" signifie, et de ne pas le confondre, comme il le fait et comme c'est le plus souvent le cas, avec les notions de signe ou d'emblème. Comme vous le dites, cela nécessite un peu de culture, notamment dans la sémiologie, qui est la science des signes. 

Le plus amusant dans l'affaire, est d'imaginer de prétendus francs-maçons truffer leurs édifices et les villes de soit-disant symboles ! Dans quel but ? N'ont-ils que cela à faire ? Ne leur reproche-t-on pas, au contraire, de se consacrer à d'autres chantiers bien plus impactants pour la société ? "

Merci à François Gruson de son érudition et de toutes ces précisions.

Michel Renard

 

 

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11 avril 2012

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Benjamin Stora: "La France et l'Algérie

devraient respecter tous les morts"

 

[Benjamin Stora nous a fait remarquer le déséquilibre instauré sur Études Coloniales entre les points de vue favorables à son film La Déchirure et les critiques de ce documentaire (dominantes). Il a raison. Mais il faut dire que les éloges n'ont pas manqué ailleurs dans la presse et que celle-ci a très peu relayé les critiques. Dans un souci d'objectivité, nous relayons ces appréciations favorables. Études Coloniales]

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Propos recueillis par Emmanuel Hecht, publié le 18 mars 2012 à 10:04
L'Express

Historien, homme engagé, Benjamin Stora, 61 ans, est sans doute le meilleur spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie, sa terre natale. Scénariste de Guerre d'Algérie, La Déchirure, remarquable documentaire réalisé par Gabriel Le Bomin, il revient sur ce que fut la tragédie algérienne, son oubli et son retour dans les mémoires. De part et d'autre de la Méditerranée. 

Benjamin Stora, scénariste de Guerre d'Algérie, la déchirure, remarquable documentaire réalisé par Gabriel Le Bomin, revient sur ce que fut la tragédie algérienne, son oubli et son retour dans les mémoires.  

Aucune manifestation officielle n'est prévue en France pour commémorer la fin de la guerre d'Algérie. Certes, il s'agit d'une défaite, mais ne pouvait-on pas espérer une phrase, un geste, en guise d'apaisement ?

On est toujours dans la guerre des mémoires, où chaque camp dit : "Ma souffrance est supérieure à la vôtre, mes morts sont plus nombreux." Cinquante ans après la fin de la guerre, il serait temps d'en finir avec cette logique mémorielle communautaire. Je souhaiterais que la France et l'Algérie respectent toutes les victimes : Algériens, harkis, immigrés, pieds-noirs, appelés. Ne serait-ce que par considération pour les morts.

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Vous venez d'écrire le scénario de Guerre d'Algérie, La Déchirure. En revisitant cette période, avez-vous eu le sentiment qu'on n'en parle plus de la même façon aujourd'hui ?

Lorsque j'étais étudiant à Nanterre au début des années 1970, on n'en parlait pas du tout ! La société française avait tourné la page. C'est René Rémond qui m'a suggéré de travailler sur le sujet. Il m'a présenté au grand spécialiste d'alors, l'historien Charles-Robert Ageron. C'est sous sa direction que j'ai rédigé ma thèse sur Messali Hadj (1898-1974), le pionnier du nationalisme algérien.

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Vous imaginez... Non seulement l'Algérie n'intéressait personne, mais encore moins le nationalisme, à une époque où les sujets à la mode tournaient autour du socialisme, du mouvement ouvrier, de la lutte des classes... D'ailleurs, j'étais son seul étudiant. Je dois beaucoup à Ageron. Il m'a tout appris du métier d'historien : le bon usage des sources, l'esprit critique, la méfiance à l'égard de l'idéologie. Le tiers-mondisme était très bien porté à l'époque et je militais depuis l'âge de 18 ans dans un mouvement trotskiste, que j'ai quitté quelques années après ma soutenance de thèse en 1978. 

À quelle date commence-t-on à reparler de l'Algérie ?

On sort du silence - et pour le chercheur, de la solitude... - en octobre 1988, avec les émeutes d'Alger, qui feront près de 500 morts. Une foule de questions sont alors posées. Comment les Algériens en sont-ils arrivés là ? Comment expliquer cette violence ? Y a-t-il un rapport avec la première guerre d'Algérie ? Ces événements engendrent un retour de mémoire. Les journalistes s'y intéressent, puis des chercheurs.  

Le temps passant, je suis de plus en plusfrappé par la grande violence de cette guerre 

Mais le grand tournant date de 1992 - moment de l'interruption du processus électoral en Algérie et début d'une terrible lutte entre l'Etat et les islamistes - et du trentième anniversaire de l'indépendance. Les archives françaises sont rendues publiques.

Ce matériau extraordinaire alimente les nombreuses thèses sur les appelés, les harkis, la torture... auxquelles s'attelle une nouvelle génération de chercheurs, plus distante, moins impliquée affectivement. L'année 2002 constitue une autre date marquante. Pour la première fois, un ex-officier supérieur, le général Aussaresses, reconnaît la pratique de la torture. Cet aveu va créer le scandale et l'étonnement. Du côté algérien, les témoignages sur la guerre se multiplient : pas moins de 300 ouvrages sont publiés entre 1995 et 2010. 

Dans les années 2000, également, le cinéma et la littérature s'emparent de l'Algérie...

On assiste en effet à un basculement dans la fiction cinématographique et littéraire. De mémoire, je citerai un certain nombre de ces films sortis dans ces années-là : Mon colonel, de Laurent Herbiet, L'Ennemi intime, de Florent Emilio Siri, La Trahison, de Philippe Faucon, Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, Nuit noire, d'Alain Tasma, sur le 17 octobre 1961, Vivre au paradis, de Bourlem Guerdjou, Sous les pieds des femmes, de Rachida Krim, etc. De jeunes romanciers s'emparent, eux aussi, du sujet : Jérôme Ferrari (Où j'ai laissé mon âme), Laurent Mauvignier (Des hommes), jusqu'au dernier Goncourt, Alexis Jenni (L'Art français de la guerre). Cette profusion par la fiction donne à la guerre d'Algérie une autre dimension.

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Avec le recul, pensez-vous que la meilleure formule pour résumer cette période est La Tragédie algérienne, le titre du livre de Raymond Aron, publié en 1957 et qui provoqua l'ire - et les insultes - de la droite ?

Oui, c'est une tragédie. Le temps passant, je suis de plus en plus frappé par la grande violence de cette guerre. Même si le bilan des victimes est toujours difficile à établir et sujet à polémique, on peut rappeler que de 350 000 à 400 000 civils algériens sont morts, soit 3 % des 9 millions d'habitants algériens : un pourcentage identique à celui des morts de la Grande Guerre de 1914-1918 ; que 1,5 million de paysans algériens ont été déplacés au prix d'un bouleversement total du paysage agricole.
On doit y ajouter de 15 000 à 30 000 harkis, 30 000 soldats français, 4 500 pieds-noirs tués et les 800 000 d'entre eux déplacés en métropole... 

Il faut bien avoir à l'esprit qu'en quelques mois un siècle et demi de présence française s'effondre. L'Algérie n'est pas une colonie comme les autres. Il y a une pénétration de la culture française, des habitudes, des comportements qui vont laisser des traces.
La France s'en remettra parce que c'est une grande nation industrielle et une puissance européenne. D'autant qu'elle feint de tourner la page. Il suffit d'écouter la chanson de Claude François, Cette année-là, consacrée à 1962. Le texte évoque le rock'n'roll, les Beatles, Marilyn... Tout y est... sauf l'Algérie. Pas un mot. Alors que les gens du Sud - pieds-noirs, harkis, soldats - vivent une tragédie, la France célèbre les années yé-yé. Deux histoires se chevauchent. Dans l'indifférence totale. 

Films, livres, préfaces, interviews : vous êtes partout une sorte de "Monsieur histoire d'Algérie". Comment expliquez-vous cette position centrale ? Est-ce seulement la consécration d'un travail ?

J'ai publié des ouvrages sur l'histoire du Vietnam et du Maroc, pays où j'ai vécu plusieurs années. Mais, en France, c'est toujours de l'Algérie qu'on me parle...

Sûrement y a-t-il le résultat de trente-cinq ans de travail, la publication de dizaine d'articles, de livres, de films. J'ai voulu très tôt transmettre mon savoir en produisant des documentaires pour la télévision, ce que, jusqu'à une période récente, peu d'universitaires faisaient. Cette exposition augmente la notoriété, mais aussi l'inimitié et la jalousie...

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Toutes ces explications ne suffisent pas. Sans doute ai-je creusé un sillon d'où surgissent des questions essentielles pour la société française d'aujourd'hui : l'histoire coloniale et les minorités, les communautés et la République, la religion et l'immigration... J'avancerai une autre hypothèse, plus personnelle. Issu de la communauté juive d'Algérie, peut-être suis-je, par mon origine, à l'intersection de ce qu'on appelait les mondes "indigène"-musulman et "européen"-pied-noir, une sorte de passerelle. Je vous livre tout cela en bloc, ce ne sont que des pistes.

propos recueillis par Emmanuel Hecht

 

Benjamin Stora en 6 dates
1950
Naissance à Constantine (Algérie).
1978
Doctorat d'histoire sur Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien.
1986
Maître de conférences à Paris VIII.
1991
Directeur scientifique à l'Institut Maghreb-Europe (Paris VIII).
1996
Membre de l'Ecole française d'Extrême-Orient (Hanoi).
Depuis 2001 Professeur d'histoire du Maghreb à l'Inalco ("Langues O") et à l'université Paris XIII. 

Bibliographie
Benjamin Stora a écrit une trentaine de livres. Le dernier paru est La Guerre d'Algérie vue par les Algériens, coécrit avec Renaud de Rochebrune (Denoël). À noter que son Histoire de l'Algérie en trois tomes (La Découverte) est rééditée en coffret. 

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Comment un tel gâchis a-t-il été possible ?

Quelles en furent les étapes, d’illusions

en mensonges, de crimes en crimes ?

 

Algérie
Bruno Frappat, 17 février 2012 - La Croix

Appel général : au début de mars – à une date qui sera précisée prochainement – France 2 diffusera un documentaire à couper le souffle de tous ceux qui ont connu, de près ou de loin, la guerre d’Algérie (1954-1962). Et à instruire ceux, encore plus nombreux, qui ne peuvent savoir comment ce cancer a rongé l’âme de la France, des deux côtés de la Méditerranée.

Disons-le avec netteté et émotion : on n’a pas le droit de rater cette diffusion ! Ce documentaire en deux parties (diffusées le même jour en «prime time» et suivies d’un débat) est un coup à l’estomac. Il s’appelle Guerre d’Algérie, La Déchirure.

Nous sommes sorti tout retourné de la projection en avant-première réservée à la presse. «Éprouvant» est le mot qui est venu immédiatement à l’esprit. Car ce n’est pas une partie de plaisir, ni une distraction qui attend les téléspectateurs. Mais une épreuve pour la mémoire, une épreuve pour les sentiments, une épreuve pour l’idée que l’on se fait des relations entre les êtres humains, une épreuve sur l’échelle du Bien et du Mal. Une épreuve pour l’intelligence : comment un tel gâchis a-t-il été possible ?

Quelles en furent les étapes, d’illusions en mensonges, de crimes en crimes ? Comment n’a-t-on pas perçu, à l’époque, l’engrenage maudit qui aboutirait à ce divorce d’une brutalité sans nom ?

Gabriel le Bomin, comme réalisateur, Benjamin Stora, comme historien, sont les deux auteurs de cet impeccable travail. Leur texte, dénué de tout aspect polémique, est lu par le comédien Kad Merad.

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Gabriel Le Bomin et Kad Merad

Tous les documents, dont beaucoup d’inédits, sont des films d’époque. Ils ont été retrouvés dans les archives de l’armée française, mais aussi dans celles des anciens «pays de l’est» qui, se situant du côté des «rebelles» du FLN (Front de libération nationale) ont filmé l’autre côté de la guerre. Films tournés par des soldats, par des gendarmes, par des familles de pieds-noirs au moment de leur fuite éperdue de 1962.

Il y a des images insoutenables, jamais vues, comme celles des soldats français égorgés par le FLN, la couleur ajoutant à l’horreur. Ou comme ces vues prises par des Français de soldats abattant, dans le dos, un «musulman» (ainsi parlait-on des «indigènes», à l’époque) qui marche sur un sentier et s’abat dans sa djellaba blanche. Il y a des séquences d’actualité que les Français n’avaient jamais eu la possibilité, à l’époque, de regarder, comme la visite triomphale de Fehrat Abbas, le leader algérien, en Chine. Ou des camps d’entraînement des soldats de l’ALN passés en revue, du côté de la Tunisie, par les futurs négociateurs des accords d’Évian (Krim Belkacem, notamment).

C’est un exploit que d’avoir réalisé un document non polémique, d’une grande honnêteté, ne cherchant pas à donner tort aux uns et raison aux autres. C’est un exploit que de rendre compte, avec une sobriété terrible, d’événements marqués par la passion, la violence, la haine et l’incompréhension.

Il se trouvera sûrement des gens pour critiquer cet équilibre qui ne prend pas partie. Mais l’émotion, justement, vient de cette honnêteté. Nous sommes émus de retrouver, souvent en couleurs alors que nous avions le souvenir d’une guerre en noir et blanc, les acteurs et les terrains d’un conflit qui déchira la France. Qui ne fut conclu que par la prescience et la duplicité stratégique de de Gaulle, accédant au pouvoir grâce aux partisans de l’«Algérie française» alors qu’il savait d’emblée que l’indépendance serait au bout.

Gâchis immense, à faire pleurer. Gâchis de la violence cruelle et aveugle, des attentats contre les civils, des assassinats, de la torture, de l’armée s’engageant contre la nation au prétexte de la défendre, du lâchage des harkis livrés aux vengeances, de l’abandon des pieds-noirs floués à la fois par la métropole, par les pouvoirs et par l’OAS qui, prétendant les représenter, hâta par sa fureur destructrice la fin cauchemardesque de leur présence sur la terre qui les avait vus naître.

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Pertes et profits de l’histoire : les soldats tués au combat, les civils meurtris, les habitants chassés, les relations futures entre les deux pays marquées par l’incapacité de renouer des liens qui furent trop charnels, sans doute, au «temps des colonies». Et tout cela parce que le mépris des évidences et des gens avait, durant des lustres, entretenu une illusion de puissance et de domination éternelles.

Il faut, pour revenir là-dessus à l’occasion de la vision de ce film, avoir le cœur bien accroché. Mais c’est bien avec le cœur qu’il faut le regarder. Un cœur plus large que celui des protagonistes du temps jadis. Un cœur accueillant à l’idée que nous étions dans le schéma classique d’une tragédie non maîtrisable et qui ne fait que des victimes. Sur lesquelles il y a de quoi pleurer.

Bruno Frappat

 

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"Guerre d'Algérie, la Déchirure" :

un film tout en archives, parfois inédites

 

Créé le 15 février 2012 - Le Nouvel Observateur

Pour les 50 ans des accords d'Évian, France 2 diffusera en mars un documentaire événement, "Guerre d'Algérie, la déchirure", premier film tout en images d'archives sur le conflit, dont certaines totalement inédites, avec l'ambition de restituer tous les points de vue.

Ce film, en deux parties de 55 minutes, a été conçu par le réalisateur Gabriel Le Bomin, auteur notamment d'un long métrage remarqué sur la Première guerre mondiale, "Les Fragments d'Antonin", et par l'historien Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie coloniale et de la guerre d'Algérie.

Pour le préparer, ils ont eu accès à des archives inédites de l'armée française, des sources algériennes, des images de la BBC et de télévisions d'Europe de l'Est, des fonds amateurs collectés par des cinémathèques régionales, des films familiaux ou de la Croix-Rouge suisse.

"Au total, on avait 140 heures de rushs disponibles, pour deux heures de récit. L'ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense, ndlr) nous a permis de travailler à partir de rushs d'origine, et non de films montés. Nous avons aussi été autorisés à utiliser des films dont la diffusion était jusque là interdite", explique Gabriel Le Bomin.

"C'était vraiment une grande nouveauté. Il y a aussi eu tout un travail dans des cinémathèques, notamment d'anciens pays de l'Est, où l'on a pu accéder aux archives des maquis algériens. C'était l'ambition du film, d'avoir un champ/contre champ: raconter le point de vue français, mais aussi celui du FLN".

Film global

L'optique était double : réaliser un documentaire global racontant de manière pédagogique l'ensemble de la guerre d'Algérie, et faire "le premier film français tout en archives" sur le sujet, sans témoignages mais accompagné d'un commentaire en voix off de l'acteur Kad Merad, lui-même né en Algérie en 1964, explique Benjamin Stora.

"C'est un film très original et très difficile à faire, parce qu'il y a des épisodes de cette histoire qui n'ont pas d'archives filmées. Donc il a fallu travailler à leur représentation filmique", ajoute-t-il.

Les attentats ou la torture manquent ainsi d'archives directes, mais ont pu être racontés notamment à travers des images de victimes.

Parmi les archives jamais vues à la télévision française, le film montre des images de cadavres de soldats, parfois mutilés. Ou la visite en 1958 en Chine de Ferhat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA, front politique du FLN), accueilli par une foule immense.

Il a fallu un peu moins d'un an pour fabriquer Guerre d'Algérie, La Déchirure, qui a fait l'objet d'un travail de colorisation, certaines images étant originellement en couleur et d'autres en noir et blanc. Sa diffusion, dont la date exacte n'est pas encore précisée, sera suivie d'un débat animé par David Pujadas.

D'autres documentaires seront programmés à la télévision pour marquer les cinquante ans de la fin de la guerre d'Algérie: "Algérie, notre histoire", de Jean-Michel Meurice, avec Benjamin Stora, ou "Palestro, Algérie: histoire d'une embuscade", de Rémi Lainé, sur Arte, ou encore "Une histoire algérienne", de Ben Salama, sur France 5.

Du côté des fictions, Arte donnera le célèbre film "La bataille d'Alger", de Gillo Pontecorvo, tourné deux ans après l'indépendance et censuré en France jusqu'en 2005. France 3 diffusera "Pour Djamila", fiction TV retraçant l'histoire de Djamila Boupacha, militante du FLN accusée d'avoir posé une bombe à Alger, qui avait été défendue par l'avocate Gisèle Halimi.

source

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voir aussi : Benjamin Stora : "Guerre d'Algérie, la déchirure" in "La Provence.com". 29 mars 2012

 

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sur Études Coloniales

- réponse de Benjamin Stora à Daniel Lefeuvre et réplique de celui-ci

- Les bombardements du cinquantenaire, le point de vue de Michel Lagrot

- réponse de Benjamin Stora à Guy Pervillé et réaction de Guy Pervillé, à propos du documentaire "La Déchirure"

- critique de Guy Pervillé du documentaire "La Déchirure", sur Études Coloniales

- texte définitif de la critique de Guy Pervillé sur son site

- voir : "La Déchirure" : ce documentaire n'est pas un outil de référence, Daniel Lefeuvre

- voir la mise au point du général Maurice Faivre et les remarques de Michel Renard

 

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image du film "La Déchirure"

 

- retour à l'accueil

10 avril 2012

réponse de Benjamin Stora à Daniel Lefeuvre et réplique de celui-ci

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Benjamin Stora répond à la critique

de Daniel Lefeuvre à propos de "La Déchirure",

et Daniel Lefeuvre lui réplique

 

Benjamin STORA

Dans son long compte rendu à charge paru dans Études coloniales, du documentaire dont je suis l’auteur avec Gabriel Le Bomin (La Déchirure), Monsieur Daniel Lefeuvre, de manière systématique minimise les victimes algériennes, dans les massacres de mai-juin 1945 à Sétif et Guelma ; d’août 1955 dans le Constantinois ; du Plan Challe en 1959, ou du 17 octobre 1961 à Paris.

Il critique également les chiffres avancés du déplacement des populations paysannes (rapport de M. Rocard de 1959). Il ne doute jamais des versions officielles proposées par les gouvernements français de l’époque, et ne prend jamais en compte les chiffres avancés par les nationalistes algériens.

Est-ce là la position d’un historien qui se veut rigoureux et équilibrée ? Il va de soi, qu’élève de Charles Robert Ageron (voir mon site), je me suis appuyé sur l’ensemble de ses travaux pour les faits avancés dans ce documentaire.

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Dans le même esprit, il critique systématiquement les images montrant des victimes algériennes. C’était déjà le point de vue des officiels français de l’époque. Je le renvoie aux travaux de Marie Chominot qui, dans sa thèse de doctorat sur «Les images et la guerre d’Algérie», a bien démontré le système de propagande mis en œuvre visant à décrédibiliser ces images accusatrices.

Ce documentaire a d’autre part bénéficié en partie du concours de l’ECPAD pour les images cette guerre, ce que Daniel Lefeuvre ne signale jamais dans son article.
Enfin, puisqu’il aime citer d’autres historiens, je le renvoie au texte de Jacques Frémeaux publié dans Le Figaro, et à ceux publiés dans de nombreuses revues d’histoire qui disent la qualité et l’impartialité de ce travail difficile.

Benjamin Stora
professeur à l'université Paris XIII
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Daniel LEFEUVRE

La réponse de Benjamin Stora à ma critique du film La Déchirure ne laisse pas de surprendre. D’abord, parce qu’il me prête des affirmations dont on ne trouve pas trace dans mon texte.

Ainsi, où Benjamin Stora a-t-il lu que je contestais le nombre d’Algériens déplacés dans les villages de regroupement ? Mon texte ne fait aucune allusion ni à cet épisode de la guerre d’Algérie, ni au Rapport Rocard. Il en va de même pour le bilan des victimes algériennes des opérations Challe.

J’invite Benjamin Stora à lire plus scrupuleusement les textes qu’il souhaite critiquer, c’est de bonne méthode historique.

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Au-delà de ces inexactitudes, Benjamin Stora me reproche surtout de «minimiser» de manière «systématique» les victimes algériennes, refusant de prendre en compte les «chiffres avancés par les nationalistes algériens», concernant les massacres de mai 1945, d’août 1955 et du 17 octobre 1961, et plus généralement, de la guerre d’Algérie.

Où Benjamin Stora a-t-il lu que je minimisais les pertes algériennes ? Sétif, Guelma, mai 1945 : ma critique ne porte pas sur le bilan des victimes, mais sur le fait que le documentaire impute l’origine du soulèvement au tir d’un policier sur le porteur du drapeau des nationalistes.

Or, comme Roger Vétillard l’a établi de manière indiscutable, dans son livre, avant même le départ de la manifestation, des Européens ont été tués. Pourquoi Benjamin Stora feint-il d’ignorer cette chronologie et répond-il à côté ? Pour dédouaner le PPA de ses responsabilités ?

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les chiffres des uns et des autres

Philippeville, août 1955 : le reproche que j’adresse au documentaire est de ne citer QUE les chiffres du FLN (12 000 morts), en ignorant les estimations officielles (1 273). Serait-ce que pour Benjamin Stora, les premiers ne prêteraient pas à examen critique, les seconds relevant seuls, bien évidemment, de la propagande ?

En l’espèce, Benjamin Stora témoigne d’un parti pris inacceptable de la part d’un historien pour qui le doute critique fait loi, quelles que soient les sympathies qu’il entretient avec son objet de recherche.

Plan Challe : comme pour le Rapport Rocard, je n’en parle pas et Benjamin Stora aura du mal à prouver le contraire. Je prends les lecteurs attentifs à témoin. Pourquoi me reprocher des affirmations que je n’ai pas formulées ?

17 octobre 1961 : le documentaire affirme que la répression policière a fait cent morts. Benjamin Stora connaît pourtant l’étude approfondie, scrupuleuse de Jean-Paul Brunet. À ma connaissance, il ne l’a jamais critiquée. Einaudi lui-même, lors du procès Papon, en a admis, de fait,  le bienfondé (voir la liste des victimes publiée par Michel Renard dans Études coloniales).
Pourquoi Benjamin Stora continue-t-il de donner crédit à un bilan mensonger ? Peut-il, sur ce point précis, nous éclairer ?

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Prendre en compte les chiffres avancés par les nationalistes algériens ? Que faut-il entendre par «prendre en compte» ? S’agit-il de leur donner crédit a priori ? De les considérer comme dignes de foi ?  Faut-il, par exemple, «prendre en compte» le chiffre de 45 000 victimes de la répression du 8 mai 1945 ? de 1 million, voire 1,5 millions de morts de la guerre d’Algérie ? Certainement, dans le cadre d’une étude sur la propagande du FLN, certainement pas comme mesure historiquement fondée du bilan humain de ces événements.

les chiffres de Charles-Robert Ageron

Benjamin Stora rappelle qu’il fut un élève de Charles-Robert Ageron et qu’il en connaît l’œuvre, ce qui est parfaitement exact.

Pourtant, lorsqu’il évoque – dans La Déchirure –  les «400 000 victimes» algériennes de la guerre d’Algérie, puis les «centaines de milliers» lors du débat, il s’éloigne considérablement des estimations de Charles-Robert Ageron.

À partir de quels calculs, selon quelles méthodes, Benjamin Stora parvient-il à un chiffrage 60 % plus élevé que celui d’Ageron ? Dès lors, comment, sans autre explication, peut-il soutenir s’être «appuyé sur l’ensemble» des travaux de celui-ci ?

De deux choses l’une, ou l’estimation de Charles-Robert Ageron (250 000), qui rejoint celle de Xavier Yacono (300 000), est valide, et il n’y a aucune raison de s’en départir, ou bien Stora estime qu’elle est erronée, et il lui appartient de le démontrer.

En outre, dans ce bilan, pourquoi ne pas mentionner qu’un grand nombre de victimes – au moins trente mille, sans compter les harkis massacrés après le 19 mars 1962 – sont tombés sous les coups du FLN ?

le traitement historien des images

Reste l’usage des images. Où Benjamin Stora a-t-il lu que je critiquais les images montrant les victimes du FLN ? Je mets seulement en cause le fait que les images ou les films présentés ne sont ni sourcés, ni datés et que leur statut (documents authentiques ou reconstitutions) n’est jamais mentionné.

Pourquoi faudrait-il traiter l’image autrement que toutes les autres archives sur lesquelles travaillent les historiens ? Au demeurant, que certaines aient été fournies par l’ECPAD ne change rien à l’affaire. Tout document est justiciable d’un examen critique.

Enfin, Benjamin Stora ne s’explique nulle part sur les erreurs factuelles  que j’ai relevées ni sur le silence qu’il entretient sur la pratique de la torture par le FLN.

esquive

Au total, cette réponse n’en est pas une. Faute de pouvoir m’opposer des arguments consistants, Benjamin Stora se réfugie ici – comme il l’avait fait à propos des critiques sur le film Les Hommes libres –  dans la pratique de l’esquive.

Et je ne suis toujours pas convaincu pas de la «qualité et de l’impartialité» de son documentaire que je persiste à considérer comme outrancier dans sa charge contre la politique de la France en Algérie et les pratiques de l’armée française (faut-il rappeler une énième fois que la torture n’a pas été généralisée à toute la période de la guerre et dans tout l’espace algérien!) mais, au contraire,  très indulgent à l’égard des méthodes mises en œuvre par le FLN pendant la guerre et très complaisant à l’égard de la propagande qu’il développe depuis.

Daniel Lefeuvre
professeur à l'université Paris VIII
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dechirure


Post-scriptum sur la colorisation -  Le 22 décembre 2009, Benjamin publiait sur son blog une réflexion très intéressante  «À propos de la colorisation des images » (http://blogs.mediapart.fr/blog/Benjamin%20Stora. Il écrivait alors, à propos du documentaire Apocalypse de Daniel Costelle et Isabelle Clarke :

«Une sensation étrange de nouveauté se dégage. Cela ne tient pas au ton, à la voix du commentateur Mathieu Kassovitch mais à autre chose, de beaucoup plus troublant. La nouveauté, c'est la continuité d'images en couleur. Pour l'historien que je suis, toucher à une archive, en l'occurrence ici la coloriser, est vraiment problématique.

Qui décide de la couleur des cheveux, ou des yeux, d'une femme qui regarde l'objectif d'un soldat allemand ; des haillons d'un enfant qui lève les bras dans le ghetto de Varsovie ; ou de l'uniforme d'un soldat français jeté sur les routes ? Il y a dans ce documentaire des images tournées en couleur, et des images colorisées aujourd'hui, sans que jamais le téléspectateur ne soit informé de ce passage, de ce va-et-vient perpétuel.

Ce procédé me trouble : faut-il pour capter, motiver l'intérêt du spectateur, avoir recours à la couleur ? Faudra-t-il, un jour, coloriser les archives des camps de concentration pour que le public puisse encore manifester de l'intérêt pour cette séquence tragique d'histoire ?

Ce travail de colorisation semble aujourd'hui abandonné pour les films de fiction. Le célèbre film, Les tontons flingueurs ressort aujourd'hui dans une version mastérisée, mais en noir et blanc. Ce n'est donc plus la fiction que l'on colorie, mais «le réel» du documentaire, comme si la couleur rendait la guerre plus accessible, plus supportable. Ce débat commence, et je connais désormais de nombreux historiens qui ne supportent plus cette «restitution» de couleurs du réel, au risque de la falsification des archives».

Or, comme David Pujadas en informait les téléspectateurs, avant la projection, la colorisation des images de La Déchirure a été systématique. Benjamin Stora, troublé par le procédé  en 2009, y a eu recours en 2012. Ce qui était alors «problématique» ne serait-il plus ? Cette «falsification des archives» qu’il relevait alors se justifierait-elle désormais ? Le débat vaut d’être mené et je remercie par avance Benjamin d’y apporter sa contribution, notamment en expliquant les raisons de son revirement.

 

 

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