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études-coloniales
7 octobre 2016

Qui a laissé massacrer les harkis ? (Michel Renard)

 Harkis Marianne 7 oct 2016 (1)

 

 

Qui a laissé massacrer les harkis ?

Michel RENARD

 

Harkis Marianne 7 oct 2016 (1)

Harkis Marianne 7 oct 2016 (2)

Harkis Marianne 7 oct 2016 (3)

Harkis Marianne 7 oct 2016 (4)

 

Paru dans l'hebdomadaire Marianne, le 7 octobre 2016.

 

 

qui a laissé massacrer les harkis ?

Michel RENARD

 

L’armée française aurait-elle pu sauver les harkis ? Il est vrai que les dernières forces françaises n’ont évacué l’Algérie qu’en juin 1964. Cependant après le référendum du 1er juillet 1962 et la proclamation de l’indépendance, l’armée française ne pouvait sortir de ses casernes sans la demande de l’Exécutif provisoire algérien puis du gouvernement de Ben Bella.

La responsabilité du pouvoir gaulliste ne peut donc être directement alléguée. Sauf à lui faire grief de n’avoir pas dénoncé la violation, par la partie algérienne, des Accords d’Évian. Ces derniers garantissaient la sûreté de la population européenne, des anciens supplétifs de l’armée française, des messalistes.

Le réquisitoire contre la jeune Ve République fut énoncé, le 23 septembre 2001, par le président Jacques Chirac alors en pré-campagne électorale : «la France n'a pas su sauver ses enfants de la barbarie».

À ce titre, des documents officiels sont terriblement accusateurs sur le refus de transferts de harkis en métropole, comme en témoigne le télégramme «très secret» de Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, le 12 mai 1962 : «les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront en principe renvoyés en Algérie (…) Je n’ignore pas que ce renvoi peut être interprété par les propagandistes de la sédition comme un refus d’assurer l’avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles. Il conviendra donc d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure». Massacre algériens. Abandon français.

Par le geste de François Hollande, «nous trouvons la paix des mémoires», a déclaré Mohamed Otsmani, membre du Comité de liaison national des harkis. Rien n’est moins sûr.

L’hypermnésie repentante qui a marqué les présidences Chirac, la corde pénitentielle des post-colonial studies et le grand silence algérien sur l’histoire entravent la nécessaire mise en perspective des engagements d’Algériens musulmans aux côtés de l’administration ou de l’armée française. Ceux-ci ne datent pas de 1955, année de création des premières unités musulmanes : Groupes mobiles de protection rurale (GMPR) puis moghaznis pour les Sections administratives spécialisées (SAS) de Soustelle ; ni de 1956 avec les premières harkas impliquées dans les combats.

 

harki interprète
harki interprète

 

 

L’histoire longue du contact colonial

Les décennies de présence française en Algérie ne peuvent se réduire aux affrontements sanglants ni à l’imposition d’un ordre injuste brimant tous les éléments des populations autochtones.

Quelque critique qu’on lui adressait, la domination coloniale a fini par paraître légitime à travers sa pérennité et la succession des générations. Jamais une contre-autorité n’a pu emporter l’adhésion massive des «indigènes» avant le ralliement forcé au FLN en 1962.

Du capitaine Yusuf (1830) à l’adjudant Ben Bella (1944) en passant par les tirailleurs de la Grande Guerre, des centaines de milliers de combattants ont participé aux opérations de l’armée française, dans le «cadre français» comme dans le «cadre indigène». L’espace à contrôler, leur accoutumance au milieu et leur coût d’entretien des trois quarts inférieurs à celui d’un militaire européen, favorisent leur embauche pendant la conquête.

L’effectif des forces indigènes passe de 2 500 hommes en 1841 à 7 000 en 1847, lors de la fin de l’affrontement avec Abd el-Kader, et jusqu’à 12 000 pendant la campagne de Kabylie en 1871. Ajoutons-y les guerriers non inscrits dans des formations régulières.

À l’appoint matériel s’ajoute l’apport moral : «Il n’est pas de tribu qui ne compte quelques-uns de ses enfants sous notre drapeau» reconnaît un Tableau de la Situation de 1849, ce qui constitue «une puissance considérable au service des idées que nous voulons propager dans la population arabe» (cité par Jacques Frémeaux, La France et l’Algérie en guerre, 2002, p. 107). Devenus anciens soldats, ils fournissent l’administration coloniale en petits cadres des postes, des douanes… Au-dessus, les caïds, aghas et bachaghas formaient une espèce d’aristocratie de commandement au prestige de laquelle les masses rurales restèrent longtemps sensibles.

Ce continuum humain, dans les fonctions administrative ou de sécurité, interdit de penser la réalité coloniale algérienne comme un face-à-face exclusif opposant les «indigènes» aux dominants européens. Il faudrait s’en souvenir pour replacer l’épisode harki dans une séquence plus longue du contact colonial, de «la colonisation ambiguë» (Pierre Brocheux) ou de la «colonisation positive» (Marc Michel). Ce serait une étape vers l’apaisement des mémoires. Mais pas la seule.

 

tirailleur algérien, 1915
tirailleur algérien, 1915, photographie de presse (source)

 

 

L’impensé algérien

Le terme infamant de «collabos» utilisé par le président Bouteflika en juin 2000 à Paris pour désigner les harkis, voulait tracer une comparaison avec les agents français de l’occupation nazie entre 1940 et 1944. Ce parallèle ne tient pas. Pour deux raisons.

D’abord la trame historique n’est pas de même durée ; il n’y a pas d’Algérie Libre ni de De Gaulle algérien installé à Constantinople pour délégitimer l’autorité française présente depuis 1830. Ensuite, et surtout, les motivations des collabos et des harkis ne furent pas identiques. Les premiers étaient mus par l’adhésion idéologique. Les seconds par une diversité de facteurs : patriotique (pour une minorité), alimentaire, sécuritaire. L’option consistait, le plus souvent, à accepter des formes de ralliement et de coopération à l’échelon local et non à consentir au sauvetage d’une Algérie française qui aurait été négatrice de leurs intérêts.

Les harkis furent souvent coincés. Comme l’explique, résigné, le personnage du prisonnier FLN Idir, ancien tirailleur algérien en 1944, à Saïd, également ancien de Monte Cassino, dans le film L’ennemi intime de Florent Siri : «Regarde cette cigarette [il l’a allumée aux deux extrémités]. C’est toi. D’un côté, c’est l’armée française. De l’autre, c’est le FLN. Quoi que tu fasses, tu as perdu d’avance. Tu ne sais plus qui tu es. Tu n’es déjà plus un algérien. Tu ne seras jamais un français».

En 2006, l’historien Mohammed Harbi, ancien dirigeant du FLN emprisonné par Boumediène en 1965, réfutait la vision d’un élan homogène : «L’idée d’un choix opéré de la part des harkis de se battre aux côtés de la France durant la guerre d’Algérie est loin de s’appliquer à la plupart d’entre eux. Les harkis sont devenus une communauté en France et non pas pendant la guerre d’Algérie».

Autre rectification. Les «indigènes» musulmans soldats de l’armée française entre 1954 et 1962, ne sont pas tous harkis. Il faut compter avec les anciens de la 1ère Armée française du général de Lattre de Tassigny et surtout avec les engagés et les appelés. En janvier 1961, l’armée de Terre en dénombrait 65 000, dont 40 000 appelés du contingent. Les harkis se chiffraient à la même date à 90 000 personnes.

L’historien Jacques Frémeaux, professeur à la Sorbonne, estime que le total des musulmans combattant du côté français atteint 180 000 hommes armés. Soit 25% environ de l’effectif militaire français, «bien plus élevé que durant la conquête (à peu près 10%)». Sur la base de recherches dans les archives militaires, le général Faivre parvient à un total de 250 000 musulmans algériens employés dans l’armée française.

À comparer avec le nombre des combattants de l’ALN dans les maquis (hors l’armée des frontières) durant tout le conflit, qui serait de 132 000 hommes selon les recensements du ministère des anciens Moujahidines (La France et l’Algérie en guerre, p. 140 et p. 127). Le dogme de l’unicité du «peuple algérien» luttant pour l’indépendance à partir du 1er Novembre 1954 en prend un coup. Mais le pouvoir à Alger n’est pas prêt de l’admettre, le savoir historien semble incompatible avec sa «vérité» officielle. Et les mémoires continueront à s’affronter.

 

harkis en manœuvre
harkis en maœuvre

 

Les massacres

La stratégie de la terreur déployée par le FLN, depuis août 1955, a été pourvoyeuse de ralliement dans les forces supplétives. Ce qu’affirme Mohammed Harbi, cité par le général Faivre : «les méthodes répressives et les injustices du FLN apparaissent comme les motifs principaux de l'engagement massif des harkis».

Ont-ils commis des exactions eux-mêmes ? Oui, certains. Mais, dès mars 1962, ils furent considérés comme un bloc collectivement responsable. Le soir même du 19 mars, les moghaznis de Jean-Pierre Chevènement à Saint-Denis-du-Sig en Oranie, sont massacrés. La question du nombre de victimes n’est pas réglée. L’amplitude des estimations suggère un chiffre allant de 10 000 à 70 000, le total de 150 000 n’étant plus retenu. La carence d’informations et d’archives du côté algérien est la première responsable de cette incertitude.

La préméditation est clairement établie. Le général Faivre cite plusieurs directives de chefs des wilayas dès 1961. Dans l’Oranie (wilaya 5) : «Envers les harkis, que le Peuple frappe de son mépris... user de tact et de souplesse afin de les gagner provisoirement. Leur jugement final aura lieu dans l'Algérie indépendante, devant Dieu et devant le Peuple qui sera alors seul responsable de leur sort».

L’été et l’automne 1962 ont vu se multiplier les atrocités contre les harkis, parallèlement aux enlèvements et disparitions d’Européens. Ce dernier point est passé des témoignages douloureux de la mémoire des Pieds-Noirs à l’investigation historienne avec l’ouvrage de Jean-Jacques Jordi, Un silence d’État. Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie (2011).

Un historien comme Abderahmen Moumen a établi une chronologie de la violence à l’égard des supplétifs, en quatre phases principales : «des Accords d’Évian le 18 mars 1962 au scrutin d’indépendance le 3 juillet 1962 ; de juillet à septembre 1962, durant la vacance du pouvoir et la guerre civile marquée par l’éclatement du FLN et de l’ALN en deux coalitions rivales ; du mois d’octobre 1962 où s’installe le premier gouvernement algérien jusqu’au premier trimestre 1963 (phase marquée par une violente reprise des massacres) ; et enfin, jusqu’en 1964, une quatrième phase marquée par des massacres sporadiques et circonscrits» («Violences de fin de guerre. Les massacres des harkis après l’indépendance algérienne (1962-1965)», in Marie-Claude Marandet, Violence(s) de la Préhistoire à nos jours. Les sources et leur interprétation, 2011).

En France, une tendance récente tend à désenfler l’importance des sévices contre les supplétifs algériens : l’historienne Sylvie Thénault pose la question «Massacre des harkis ou massacres de harkis ?» (2008) et le journaliste Pierre Daum insiste sur le nombre de harkis restés en Algérie après l’indépendance (Harkis, le dernier tabou, 2015). Guy Pervillé, professeur à l’université de Toulouse, note à propos de ce livre : «Le point qui risque de susciter le plus de réactions indignées est la conviction de l’auteur que la plupart des "harkis" sont restés en Algérie sans y être tués».

Faute de libre accès aux archives algériennes, dont Mohammed Harbi a dit, en 2011, qu’elles étaient «terribles et explosives», on pourra retenir cet aveu du président Bouteflika en octobre 1999 sur les ondes de Beur FM à propos de la répression contre le GIA : «Nous ne faisons pas les mêmes erreurs qu'en 1962 où, pour un harki, on a éliminé des familles et parfois des villages entiers» (cité dans La Croix, 14 juin 2000).

Si une historienne française a pu rédiger sa thèse et publier un livre sur La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (2001), on attend toujours le pendant dans l’autre camp. Quand les autorités algériennes autoriseront la publication d’une thèse intitulée Le FLN, la torture et les massacres pendant la guerre d’Algérie, les esprits commenceront à se rasséréner. D’ici-là, les déclarations mémorielles ne feront pas histoire. Et les enfants issus de l’immigration maghrébine continueront de clamer dans les classes de collège et lycée que les harkis sont des «traîtres».

Michel Renard

 

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Nicolas Sarkozy, candidat à la présidentielle, avait déclaré à Nice le 30 mars 2007 : «Si je suis élu président de la République, je m’engage à reconnaître la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre des harkis en 1962, afin que l’oubli ne les assassine pas une deuxième fois ». Promesse non tenue.

Reprenant les mêmes termes le 25 septembre dernier [2016], François Hollande a officiellement engagé la France en reconnaissant la responsabilité de ses gouvernements dans «l’abandon des harkis», dans «les massacres de ceux restés en Algérie» et dans «les conditions d'accueil inhumaines de ceux transférés en France». Le demi-siècle qui sépare l’événement du tardif aveu de culpabilité aurait-il fait pencher la balance plus que de raison ?

On peut, en effet, s’étonner de l’égale portée de ces trois imputations. Si l’abandon et l’accueil inhumain des harkis en métropole relèvent sans conteste de la seule responsabilité française, les massacres n’ont pas été ordonnés par la France. Seules les autorités du FLN algérien ont pris cette décision, ou laissé faire les règlements de compte aux sombres motifs. Assumant ainsi devant l’histoire le reniement de la parole donnée lors des pourparlers secrets de Bâle (oct.-nov. 1961) au sujet du principe de «non représailles» à l’encontre des Algériens ayant «collaboré» avec la France.

M. R.

 

 

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